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seule idée de célébrer la Pâque avec les Latins serait capable d’exciter un soulèvement général. » Mais Tolstoï laissait tomber ces mots : « L’Empereur peut tout ce qu’il veut [1]. »


VIII. — UN PLAN DE MAISTRE : L’ALLIANCE ENTRE ALEXANDRE Ier ET LE CATHOLICISME RUSSE. — MAISTRE ET LE MOUVEMENT DE CONVERSIONS.

Que voulait donc l’omnipotence d’Alexandre ? Elle avait une limite dans son impuissance de vouloir. « Chez lui, raillera Metternich, une idée met deux ans à se développer, passe à l’état de système pendant la troisième année, est altérée durant la quatrième et mise en pièces au cours de la cinquième [2]. »

Maistre, sans prétendre convertir à sa philosophie politique ce « républicain » couronné, ce disciple impénitent du révolutionnaire Laharpe, voulait cependant l’aider à sauvegarder cette suprême assise de l’édifice russe qu’il appelait le dogme national. « Pour le maintien de cette religion, disait-il, le plus fidèle et le plus puissant allié de Sa Majesté Impériale, c’est l’action et la fraternité de l’Église catholique dans ses États. » Écrivant aux ministres du Tsar en 1811, parlant au Tsar lui-même en 1812, il précisait que « le véritable ennemi de l’exécrable illuminé, c’est le Jésuite ; qu’une secte ne peut être combattue avantageusement que par un corps ; » et qu’il n’en connaissait « pas de meilleur que celui-là [3]. » Le dogme national comprenait tous les articles du Credo romain, moins un ou deux, et les mettait sous la garde de ce « bras de chair » [4] dont avait besoin, aux yeux de Maistre, toute religion « qui n’était pas la religion vraie. » Pour défendre ces articles, pour aider ce bras, Maistre faisait appel aux Jésuites : il escomptait que leur action théologique amènerait l’âme russe à maintenir l’intégrité du Credo, et que leur influence d’éducateurs dissiperait dans la haute société certaines idées préconçues, barrière traditionnelle entre Rome et l’âme slave.

Il fallait donc que la Russie les employât comme pédagogues : en plusieurs écrits, il le demandait formellement, et la permission qui leur fut donnée, en 1812, d’ouvrir à Polotsk

  1. Religion et mœurs des Russes : anecdotes, p. 38-40.
  2. Metternich, Mémoires, I, p. 315-319.
  3. Œuvres, VIII, p. 491.
  4. Œuvres, XIII, p. 208 et 204.