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persuader mes évêques. » Mais au moment même où Pie VII, parlant au diplomate russe Lizakewicz, se déclarait prêt à se rendre lui-même à Saint-Pétersbourg pour conférer avec le Tsar, Paul Ier n’était plus qu’un cadavre déchiqueté [1].

Que fùt-il advenu s’il eût vécu ? On a peine à se représenter sous les traits d’un néophyte de Rome ce tyranneau libertin qui avait un jour eu la lubie de vouloir lui-même célébrer la messe et « se croyait sûr de s’établir le confesseur de sa famille et de ses ministres [2]. » Mais en écoutant Gruber, en écoutant Serracapriola, le ministre du roi de Naples, qui avait été mêlé, lui aussi, aux négociations entre le Tsar et Rome [3], en écoutant l’ambassadeur papal Arezzo [4], Maistre devait garder l’impression qu’il y avait eu, sur le trône de Russie, un catholique de désir, et que dans la société russe, même dans le clergé, certains regards se portaient vers Rome. Et tous ces interlocuteurs de Maistre ignoraient d’ailleurs que le ministre de Russie à Rome, Boutourline, dans une dépêche à son gouvernement, raillait « le chimérique de la réunion des deux Églises » et cherchait le moyen de tirer parti de « cette marotte du Saint-Siège » pour obtenir du Pape des concessions [5].

Maistre, en 1797, avait écrit, dans les Considérations, que tout vrai philosophe, suivant le parti qu’il aurait pris sur la vérité du christianisme, devrait « opter entre ces deux hypothèses, ou qu’il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire [6]. »

Ayant opté, lui, pour la seconde supposition, et cherchant dès lors les symptômes d’un « rajeunissement » chrétien, cause finale de la Révolution, il lui plaisait d’entendre dire que, sans l’assassinat d’un Tsar, le siècle naissant aurait peut-être, déjà, restitué l’âme russe au bercail romain. Était-ce là l’épisode « extraordinaire » que tôt ou tard Dieu montrerait au monde ?

  1. Pierling, op. cit., V, p. 289-334.
  2. Comte Fédor Golovkine, La Cour et le règne de Paul Ier, p. 149 (Paris, Plon, 1905). — Gagarin, Religion et mœurs des Russes : Anecdotes recueillies par le comte Joseph de Maistre et le P. Grivel, S. J., p. 99 (Paris, Leroux, 1879).
  3. Pierling, op. cit., V, p. 188 et suiv.
  4. Pierling, op. cit., V, p. 319 (note d’Arezzo, qui trouvait Maistre « plein de connaissances, mais plein aussi de vanité et d’idées fausses. » V. p. 364).
  5. Pierling, op. cit., V, p. 398.
  6. Œuvres, I, p. 61,