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discernait plus, en lui, ces élans de curiosité qui jadis cherchaient en marge de l’Église, en dehors d’elle, un surcroît de lumières sur l’âme et sur Dieu ; il avait cessé de croire que la gnose illuministe, même élaborée par des adversaires du sacerdoce, pouvait ajouter au Credo quelques richesses.

Une évolution s’était faite, dont le point de départ pourrait bien être cette ligne que nous avons relevée dans les Mélanges B : « Le premier caractère d’une religion vraie est de reposer sur l’autorité, » ligne datée du 15 juillet 1798, c’est-à-dire d’une année qui fut, l’on s’en souvient, décisive pour Maistre. Douze ans plus tard, il confiait à une dame russe que, s’il était permis d’établir des degrés d’importance parmi les choses d’institution divine, il placerait la hiérarchie avant le dogme, tant elle est indispensable au maintien de la foi [1]. » La hiérarchie avant le dogme ! Donc, à plus forte raison, la hiérarchie avant l’illuminisme ! Le souci des droits de l’autorité avait définitivement mortifié le long attrait de Maistre pour la spéculation religieuse. Pour accroître de quelques rayons cette lumière naturelle qui éclaire tout homme venant en ce monde, Maistre ne recourait plus qu’à l’Evangile souverainement interprété par l’Église. Et toutes ses aspirations catholiques, celle qui de tout temps l’avait porté vers la réunion des Églises, et celle qui s’attachait, maintenant, à l’affermissement du Siège de Pierre, allaient s’exalter dans le spectacle de la Russie, de ses misères spirituelles, de ses germes apparents de renouveau.


VII. — UN COUP d’ŒIL DE MAISTRE SUR LA RUSSIE RELIGIEUSE

L’horizon russe, dès 1803, lui fut éclairé par un « homme véritablement extraordinaire, théologien, médecin, chimiste, mécanicien, opticien, etc., homme d’État de plus, et fait pour être le ministre d’un grand prince [2], » le Père Gruber, général des Jésuites. Paul Ier pour arrêter le flot de l’impiété, de l’illuminisme et du jacobinisme, » avait, à l’automne de 1800, installé Gruber et ses confrères à l’université de Vilna. « Je suis catholique de cœur, lui avait-il dit, tâchez par vos discours de

  1. Œuvres, VIII, p. 142.
  2. Œuvres, XIII, p. 337. Pour l’intelligence des écrits de Maistre au sujet de la Russie, le tome V de la grande œuvre historique du P. Pierling : la Russie et le Saint-Siège (Paris, Plon, 1912), rend les plus précieux services.