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très mauvaise, très dangereuse, très active, et sur laquelle ou ne saurait trop appeler l’attention des gouvernements, » secte « beaucoup plus féroce en Allemagne qu’ailleurs, parce que le venin protestant a son principal foyer dans ces contrées. » Insistant sur l’illuminisme bavarois, il expliquait :


Son chef est connu, ses crimes, ses projets, ses complices et ses premiers succès le sont aussi ; les règlements de la secte ont été saisis, publiés par le gouvernement, et imprimés de nouveau par l’abbé Barruel dans son intéressante Histoire du Jacobinisme.


Et tout comme Barruel, Maistre accusait maintenant cet illuminisme d’avoir « déclaré une guerre à mort à tout ce que nous avons cru et respecté jusqu’à présent, » et lui imputait « certains crimes commis depuis quelque temps[1]. »

À Cagliari, tout en se rendant compte, — comme l’avouait dès 1793 son mémoire à Vignet des Etoles, — qu’il « ignorait » les « sociétés mystérieuses » de l’Allemagne, Maistre avait dédaigné les renseignements de Barruel ; à Pétersbourg, il leur accordait créance. Parmi les 284 Jésuites qu’abritait en 1805 la Russie, un certain nombre étaient d’origine allemande[2] : ils purent raconter à Maistre le procès qui s’était déroulé, en 1786, contre l’illuminisme bavarois, et dont Weishaupt avait alors accusé les « anciens Jésuites » d’être les instigateurs[3] ; ils le persuadèrent, sur le tard, du crédit mérité par Barruel.

Mais à l’égard même du martinisme, le Maistre qui dans les dizième et onzième entretien des Soirées « fait entrer un cours complet d’illuminisme moderne[4] » diffère notablement de celui qu’un premier article nous a fait connaître. Le profès de la loge de Chambéry, l’interlocuteur et lecteur de Saint-Martin, s’était longtemps figuré pouvoir, dans la maçonnerie même, apprendre quelque chose sur le christianisme. Il pensait alors, comme le Sénateur des Soirées, que les obscurités de l’Écriture invitent l’illuminisme à creuser ces abimes de la grâce

  1. Œuvres, VIII, p. 330-332.
  2. Zalenski, Les Jésuites de la Russie Blanche, trad. Vivier, I, p. 423 et II p. 449-416 (Paris, Letouzey)
  3. Sur l’autorité de Barruel, voir, à l’encontre des critiques de M. Le Forestier, les Illuminés de Bavière, p. 488. les observations du P. Dudon, Études. 20 janvier 1919. p. 178-195. Dès 1786, notre ministre en Bavière et son secrétaire divergeaient d’avis au sujet de la portée politique de l’luminisme.
  4. Maistre à De Place, 11 déc. 1820 « Latreille, Revue Bleue, 30 mars 1912, p, 696),