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Maistre évoquait le souvenir de tant de maçons « exilés et ruinés pour le Roi ». Barruel accusant le « maçon martiniste » de « copier Manès et les Albigeois, » Maistre commentait :


Jamais un homme d’esprit n’a rien écrit de plus sot : tout ce que l’auteur dit de M. de Saint-Martin est si faux, si calomnieux, qu’on a droit d’en être étonné. Quant à l’accusation de manichéisme, faite à cet écrivain, elle cesse d’être calomnieuse à force d’être ridicule.


Barruel imputant à la maçonnerie et à l’illuminisme les crimes des révolutionnaires, Maistre, dans les Mélanges B, se déclarait d’accord avec tous ceux qui avaient écrit contre ces « coquins ; » mais c’est parce que révolutionnaires, et non parce qu’illuministes, qu’il les réputait malfaisants, et il continuait de nier que l’esprit révolutionnaire fût fils de l’illuminisme.


Le germe des maladies morales est dans l’âme comme celui des maux physiques dans le corps, sans se montrer. A voir un malheureux couvert d’une petite vérole confluente, on a peine à croire que ce soit le même homme qu’on a vu quelques jours auparavant brillant de santé. Quand on voit les exploits de Robespierre ou de Carrier, on dit : il faut que ces âmes aient été préparées de loin dans les loges secrètes. Point du tout : c’est la petite vérole.


Enfin, non sans quelque dédain, Maistre écartait certaines suspicions de Barruel :


Si ces gens étaient si redoutables avec leur aqua tophana, comment le docteur Zimmermann, comment Barruel et tant d’autres ont-ils pu écrire impunément contre ces Messieurs ?


Mais huit ans se passaient, et dans le onzième entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg, dont le premier jet parait remonter à 1809, Maistre parlait de « ces hommes coupables qui osèrent de nos jours concevoir et même organiser en Allemagne, par la plus criminelle association, l’affreux projet d’éteindre en Europe le christianisme et la souveraineté. » « L’illuminisme d’Allemagne n’est pas autre que le calvinisme conséquent [1], » redisait-il en 1810 ; et puis, en 1811, dans les Quatre chapitres sur la Russie, c’est vers le gouvernement même du Tsar que montait sa voix, pour dénoncer, à l’écart de la maçonnerie anglaise, à l’écart du martinisme, « une troisième classe d’illuminés,

  1. Œuvres, V, p. 229, et VIII, p. 215.