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que les philosophes. On peut dire de ceux-ci qu’ils ont suivi l’impulsion générale de leur siècle, et que ceux de France ou d’Angleterre ont tout aussi mal fait. Il n’en est pas de même des théologiens dont les erreurs sont une suite naturelle et prédite du système protestant. Il faut donc montrer la corruption de la théologie protestante devenue tout à fait socinienne et déiste. Il faut signaler ces exégèses allemandes qui font disparaître entièrement l’inspiration des Livres saints et mesurent tout au compas écrit de la raison humaine. Un théologien allemand a fait un livre intitulé : Mythologie hébraïque de l’Ancien et du Nouveau Testament, comparée à celle des autres peuples. C’est un étrange livre de la part d’un théologien, et peut-être il fournirait quelques lignes brillantes. On recommande par-dessus tout Herder, et parmi ses ouvrages les Lettres orientales.


Le regard inquisiteur que, dans cette lettre, Maistre jetait sur la pensée germanique, ne devait plus s’en détacher. Il y avait un coin d’Allemagne vers lequel s’envolait volontiers son imagination curieuse : c’était cette bibliothèque de Hanovre qui conservait, — Maistre le savait depuis 1796, — un manuscrit de Leibnitz, où s’exprimait l’adhésion du philosophe à la notion catholique de l’Eucharistie. Maistre, en 1810, essayait, vainement d’ailleurs, de se le faire communiquer, et se berçait de l’espoir que ces pages du « plus grand des protestants » rapprocheraient peut-être du catholicisme l’orthodoxie luthérienne [1].


VI. — L’ÉVOLUTION DES JUGEMENTS DE MAISTRE AU SUJET DE L’ILLUMINISME

L’influence des Jésuites et sa familiarité croissante avec les courants intellectuels de l’Allemagne modifièrent les jugements de Maistre sur l’illuminisme. Lorsqu’étaient parus les Mémoires de l’ancien Jésuite Barruel pour servir à L’histoire du Jacobinisme, Maistre, à Cagliari, les avait lus : un manuscrit de six grandes pages, très denses, nous le montre, en 1801, courbé sur ce livre, en copiant certaines phrases qui lui déplaisent, et débridant sa mauvaise humeur. Barruel insinuant que les maçons avaient raison de se réclamer des Templiers puisqu’ils étaient « leurs pareils par l’impiété, leurs pareils par les complots, »

  1. Œuvres, XII, p. 474 et 486 ; XIII, p. 27 ; XIV, p. 115. Sur ce manuscrit, qui faillit un instant être publié par Bonald et qui fut finalement publié par les Sulpiciens, voir Méric, Histoire de M. Emery, II, p, 367-369 (Paris, Poussielgue, 1895).