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et présentent encore à l’œil étonné les phénomènes de la nature vivante [1]. »

Or voilà qu’il retrouvait les Jésuites, et qu’il les retrouvait associés, dans le seul point du monde où grâce à Catherine II et à Paul Ier ils eussent pu survivre comme membres d’un corps organisé : la Russie. Et ceux-ci « faisaient pour lui l’impossible, » lui prodiguaient toute « politesse imaginable, » et souvent il prenait « le caffé » avec leur général [2]. »

« Mon grand-père les aimait, mon père les aimait, ma sublime mère les aimait, je les aime, mon fils les aime, son fils les aimera, si le Roi lui permet d’en avoir un. » Ainsi Maistre parlait-il des Jésuites à son beau-frère Saint-Réal, qui, lui, ne les aimait pas [3]. « Sans cette dame qui est là à côté de moi, dira-t-il plaisamment en 1818 à l’abbé Vuarin, je me ferais Jésuite, mais elle ne veut pas se faire religieuse [4]. » Une autre fois, se rappelant apparemment ses complaisances de jeunesse pour la pensée de Rousseau, il écrivait : « Je dois aux Jésuites de n’avoir point été un orateur de l’Assemblée constituante [5]. » Et dans l’Essai sur le principe générateur, qui est de 1809, Maistre rêvait d’une statue de saint Ignace, dressée « dans quelque ville opulente assise sur une antique savane, » et libellait l’inscription du piédestal : A l’Osiris chrétien [6].

Pouvait-il mieux témoigner à ces Jésuites sa déférence intellectuelle, qu’en adhérant finalement à toutes les nuances de leur jugement sur le sacre de 1804, sur ce geste papal qui avait offusqué, à vif, toutes les susceptibilités de Maistre, comme si tout un pan de sa doctrine politique s’était senti sapé ?


V. — MAISTRE EN CHASSE DE DOCUMENTS : L’APPEL INÉDIT DE 1805 AU CHEVALIER DE H...

Au demeurant, même en ses heures de grande colère contre le Pape, Maistre n’avait nullement abdiqué ses desseins d’apologiste.

  1. Œuvres, l, p. 392-393.
  2. Œuvres, XII, p. 138. — Descostes, Correspondant, 25 juillet 1899, p. 249.
  3. Œuvres, XIII, p. 426. De fait, Rodolphe de Maistre, dont l’éducation religieuse avait jadis été confiée par Maistre à un ancien Jésuite (Journal, 23 janvier 1800), aima beaucoup les Jésuites à son tour, puisqu’une manifestation qu’il risqua dans la presse en leur faveur le fit révoquer, en 1848, de ses fonctions de gouverneur de Nice (Margerie, Joseph de Maistre, p. 422-425).
  4. Œuvres, XIV, p. 124.
  5. Œuvres, XIII, p. 204.
  6. Œuvres, 1, p. 272.