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sans le vouloir aux théologiens gallicans qui soutinrent le droit divin des rois. Une familiarité plus intime avec l’institution de la Papauté l’amènera, dans le livre du Pape, à glorifier la Papauté du moyen âge comme faisant équilibre aux souverainetés temporelles et leur servant de « frein [1] ; » il aimera marquer les limites imposées à l’absolutisme humain par ce vicariat de l’absolutisme divin. Mais tout en même temps il continuera de vouloir arc-bouter contre l’édifice séculaire de l’Eglise la fragilité branlante des trônes : « Il faut que la religion refasse la monarchie, écrira-t-il à Bonald, et c’est ce qui arrivera, malgré toutes les apparences contraires [2]. » Passer outre aux « apparences contraires, » ce sera, d’un bout à l’autre du XIXe siècle, l’erreur des ultras.

Un jour Léon XIII constatera que par leur prolongation, par leur constante récidive, ces « apparences contraires » ont pris l’éclat d’évidences ; et l’archaïsme politique qui voulait lier la religion et la « légitimité » sera définitivement disgracié. Mais la pensée de Maistre avait une telle richesse de nuances, une telle ampleur d’horizons, que ces ultras mêmes qui le citaient comme leur père intellectuel eussent pu prévoir, en le lisant, l’échec de leurs illusions. N’avait-il pas écrit en 1809 : « Tous nos projets nous échappent comme des songes... J’ai conservé, tant que j’ai pu, l’espoir que les fidèles seraient appelés à rebâtir l’édifice, mais il me semble que de nouveaux ouvriers s’avancent dans la profonde obscurité de l’avenir, et que S. M. la Providence dit : Ecce nova facto omnia [3]. » Et si Dieu se montrait plus novateur que Maistre, comment Maistre, à l’avance, n’eût-il pas été soumis ?


IV. — COMMENT PIE VII RÉVOLTA MAISTRE ET COMMENT LES JÉSUITES L’APAISÈRENT

Maistre, en 1804, eut une atroce secousse. On annonçait que Pie VII allait sacrer Napoléon ; on concluait que religion et légitimité divorçaient ; l’Eglise, protectrice des souverainetés, allait couronner celui qui les bousculait toutes. Une lettre latine, partie de Pétersbourg avec l’approbation du Tsar, représentait

  1. Œuvres, II, p. 253-257.
  2. Œuvres, XIV, p. III, cf. XII, p. 433.
  3. Œuvres, X, p. 405-406.