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personnel de Dieu ; et puis, à l’arrière-plan, un cœur ardent, mais rigidement discipliné ; spontané, mais se défiant de ses élans ; également prompt à s’épanouir et à se surveiller ; un cœur qui, lorsqu‘il songe aux siens, ne se gonfle de tendresse que pour la mortifier : un cœur qui lorsqu’il monte vers Dieu se laisse trop tenir en respect par la vision de l’incommensurable distance, pour s’abandonner pleinement à la mystique jouissance du contact divin : tel nous apparaît Maistre devant la table eucharistique. Il s’y présente pour « remplir des devoirs. » Nul pharisaïsme, d’ailleurs, dans cette inféodation de tout son être : l’étiquette une fois observée, sa conscience ne se croit pas quitte, et la voici qui se met à nu, dans une lettre au jésuite Rosaven, comme une conscience de publicain : « Je ne vois jamais mourir nos véritables prêtres sans être tenté de désespérer de la canaille mondaine, et quorum pars magna fui. Ainsi, mon Révérend Père, je me recommande fortement à vos bonnes prières, pour cette bienheureuse fin [1]. »

Nulle aridité, non plus, dans cette religion : croyons-en Xavier, écrivant en 1810 : « Rien ne détourne jamais mon frère de ses habitudes religieuses, non plus que de ses heures de travail. Cela va comme un chronomètre le plus parfait. Cet ordre et cette règle paraîtraient devoir entraîner de la sécheresse. Mais non, son cœur et son esprit ont toute leur fraîcheur [2]. » Constance fait écho, lorsque, après la mort de son père, elle écrit à Guy de Place : « Tout ce qui était beau, noble, naturel, religieux, l’attendrissait et l’exaltait ; il y avait tels psaumes, tels chapitres de l’Evangile, qu’il ne pouvait lire sans pleurer d’admiration [3]. »

Devant un tel faisceau de témoignages, pourrait-on ne voir en Maistre qu’un gentilhomme policé, qui multiplie devant Dieu les révérences de civilité, et qui veut, par système politique, les imposer aux peuples ? Le portrait d’une âme devient une offense, lorsqu’il se transforme en caricature.

  1. Œuvres, XIV, p. 86.
  2. Klein, Correspondant, 10 décembre 1902, p. 918.
  3. Constance à De Place, 28 mai 1821 (publié par M. Latreille, dans la Quinzaine, 16 juillet 1905, p. 156.)