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Pâques dans ce pays : j’ai communié de la main du général des Jésuites. Qui m’eût prédit cela il y a vingt ans m’aurait un peu surpris.

En 1816, le voilà mis en demeure de choisir, pour le matin de Pâques, entre Sa Majesté Dieu, dont sa conscience avait préparé l’audience, et Sa Majesté le Tsar, qui l’appelait à une revue. Allait-il, pour le Tsar, remettre un rendez-vous avec Dieu ? Voici dans quels termes Maistre fit connaître son option : « Le ministre de Sardaigne, qui ne pouvait prévoir l’honneur qui lui est annoncé par le billet de Son Excellence M. le grand-maître des cérémonies, écrit aujourd’hui, se trouve avoir tout disposé pour remplir demain (jour de Pâques) des devoirs qui ne sauraient s’accorder avec le plus grand plaisir dont il puisse jouir dans cette capitale, — celui de voir Sa Majesté Impériale à la tête de ses braves, fidèles et brillantes troupes. Il prie donc Son Excellence M. le grand-maître des cérémonies de vouloir bien se charger de ses excuses, et il attend de la religieuse bonté de Sa Majesté Impériale qu’elle daignera les agréer [1]. »

Ainsi s’encadre entre deux témoignages de dévotion pascale le séjour de Maistre à la Cour de Russie. Il était le contemporain de cette religiosité romantique dont nous avons dans l’Allemagne de Mme de Staël une description si vivante, et qui, plus éprise de sons que de vérités, croyait, en s’abandonnant au vague bercement des musiques d’Eglise, rendre hommage au divin ; la piété de Maistre, esprit assez indépendant pour oser confesser que la musique l’ « assassinait [2], » ne pouvait avoir rien de commun avec cette religiosité-là. Elle était, en son principe, l’hommage lige d’une pensée, l’adhésion féale d’une conscience : c’est en chevalier que cet homme s’agenouillait. Mme Swetchine a écrit de lui : « La foi était tellement devenue la propre nature de son esprit, que hors d’elle il ne pouvait consciencieusement admettre qu’ignorance, limites étroites, mauvais vouloir ou mystérieux châtiment. L’idée en lui réglait tout, et soumettait son cœur plus honnête et plus droit que naturellement pieux [3]. »

Une intelligence et une volonté fermement attachées au service

  1. Correspondance diplomatique, éd. Blanc, II, p. 358.
  2. Descostes, op. cit.. Il, p. 183.
  3. Falloux, Mme Swetchine, I, p. 400.