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la communauté du prisme amenait l’analogie des conclusions.

Une époque donc commençait : c’est en plongeant son regard dans les conseils de l’Éternel que Maistre interprétait les cinq dernières années vécues par l’humanité. Elles n’étaient pas un accident ; elles étaient un prologue, une préparation, le sanguinaire avènement de quelque chose d’inconnu, de lointain. À l’arrière-plan de l’attentat commis par l’Homme révolutionnaire contre Dieu son souverain, Maistre pressentait des fins providentielles, inconnues de cet Homme, et pour lesquelles, sans le vouloir, cet Homme travaillait ; et le caractère « satanique » de la Révolution n’en excluait nullement la prédestination divine, puisque Dieu, pour une échéance incertaine, faisait de Satan, — de Satan vaincu d’avance, — son involontaire collaborateur. Il est libre, ce Satan, et l’Homme aussi est libre ; et cependant le Dieu de Maistre demeure le Tout-Puissant, et connaît et concerte les fins suprêmes que réalisera, sans le savoir, l’humaine folie. Maistre, dès 1793, avait écrit à Mme de Costa : « La sottise et la scélératesse humaines sont deux immenses aveugles dont Madame la Providence se sert pour arriver à ses fins, comme l’artiste se sert d’un outil pour exécuter ses ouvrages. La lime sait-elle qu’elle fait une clef[1] ? »

Dans les Considérations, qui se seraient intitulées, si l’éditeur n’eût pas « craint de scandaliser le xviiie siècle[2], » Considérations religieuses sur la France, Maistre diagnostiquera : « Si la Providence efface, c’est sans doute pour écrire. » Bossuet, lui, avait lu dans le passé, pour montrer la Providence « effaçant » les Empires, et puis écrivant ; et cette écriture, c’était l’Evangile s’inscrivant dans les âmes des gentils, et le monogramme du Christ se dessinant sur les drapeaux de Constantin. Maistre osera davantage : après ce « délire indéfinissable et surnaturel qui s’était emparé de l’Assemblée à l’époque du jugement de Louis XVI, » il entreprendra, lui, dans les Considérations, puis dans sa Correspondance, si fourmillante d’idées, si prodigieuse de vie, une sorte d’histoire contemporaine de la Providence, une histoire qui dira, comment les efforts des hommes « pour atteindre un objet, » — en l’espèce, « la destruction du christianisme et

  1. Œuvres, IX, p. 37.
  2. Ce détail a été révélé par une lettre de Maistre à d’Avaray, qu’a publiée M. Ernest Daudet (Joseph de Maistre et le comte de Blacas, p. 21-22).