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plus léger doute sur le terme de la Révolution, sur la réintégration de ce que les ignorants présomptueux de la fin de ce siècle ont regardé comme des préjugés et des erreurs [1]. »

Ces lignes, qui sont du 27 août 1793, pourraient être signées Maistre. Or ce prêtre, dans une heure tragique, avait proclamé, au nom du chapitre d’Annecy, que le Christ lui-même avait institué la hiérarchie, et que le Pape avait, de droit divin, une primauté de juridiction [2] : Maistre savait que ce confesseur de ce qu’on appelait alors l’ultramontanisme avait failli en devenir le martyr. Dans son contact avec Thiollaz, Maistre apprit à connaître cette Rome dont plus tard il écrira dans son Journal : « Il faut faire un livre sur Rome ou n’en pas parler [3]. » L’élève bientôt dépassera le maître : lorsque Thiollaz, en 1796, rédigera l’acte de rétractation qui devait être signé par l’évêque constitutionnel Panisset, Maistre trouvera que « ce n’est pas assez fort, » et libellera la formule en termes plus durs [4] ; et lorsque en 1820 s’imprimera le livre du Pape, un lecteur surgira, pour « attribuer aux conciles le pouvoir de déclarer le Pape hérétique, s’il y échoit, » et cette proposition, sur laquelle Maistre aura « de grands doutes, » [5] sera signée Thiollaz.

Lausanne fut une école, non seulement pour le futur avocat de la Papauté, mais pour l’apologiste de la Providence. Car au début de son séjour, dans les Lettres Savoisiennes, il ne considérait encore la Révolution que comme une sorte de conjuration politique et ne visait qu’à soustraire au « tintamarre révolutionnaire » le « ci-devant bon sens » des Savoyards. Mais cinq ans plus tard il brûlera le manuscrit de ces Lettres, en notant, dans son Journal, qu’il les a « prises en aversion comme le fruit de l’ignorance, » et qu’au moment où il les avait écrites, il n’avait pas « la moindre illumination sur la révolution française ou, pour mieux dire, européenne [6]. »

L’ « illumination, » — pour reprendre le mot de Maistre, — s’accomplit à Lausanne, dans l’été de 1794. La marquise de Costa venait de perdre son fils. Maistre adressait à cette mère un

  1. Martin et Fleury, Histoire de M. Vuarin, I, p. 43 (Genève, 1861).
  2. Albert, op. cit. I, p. 125 (déclaration du 25 février 1793).
  3. Journal inédit, 2 mars 1803.
  4. Œuvres, XIV, p. 203. — Latreille, Joseph de Maistre et la papauté, p. 101 (Paris, Hachette, 1906.) — Albert, op. cit., I, p. 210-211.
  5. Œuvres, XIV, p. 203.
  6. Œuvres, VII, p. 118. — Journal inédit, février 1798.