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flairant et se bénissant les uns les autres, convaincus qu’ils respiraient « l’odeur du Saint-Esprit. »

Des faits de ce genre, qui sont innombrables dans l’histoire intérieure de la Russie, accusent un des traits les plus caractéristiques du tempérament national. Aucune race n’est plus malléable aux prédications et aux apostolats. En nul autre pays, sauf peut-être dans l’Orient islamique, les foules ne sont aussi suggestibles, n’offrent moins de résistance à la contagion mentale. Nulle part, les ondes psychiques ne se propagent aussi rapidement et aussi loin dans les masses. Toute l’évolution du peuple russe est ainsi jalonnée par de grandes épidémies religieuses, morales ou politiques.

A cet égard, les troubles anarchiques de 1905 constituent un témoignage des plus expressifs et des plus inquiétants. Les mutineries sanguinaires de la flotte et de l’armée, les exploits des Bandes noires, la dévastation des Provinces baltiques, les pogroms d’Arméniens et de Juifs n’ont été, à vrai dire, que des épidémies de massacre, de pillage et d’incendie. Dans chacun de ces drames, la contamination mentale des acteurs fut presque immédiate. Par sa docilité à tous les prosélytismes, par la faiblesse de ses réactions individuelles, le moujik a révélé, une fois de plus, comme il est encore arriéré, esclave de l’instinct, près de la nature primitive.


MAURICE PALÉOLOGUE.