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venir sous la forme étrange du recensement général que l’autorité administrative opérait à cette époque. Lorsque les recenseurs se présentèrent à Tarnow, ils trouvèrent toutes les rues désertes et toutes les portes barricadées. Par une fenêtre entr’ouverte, une main leur tendit cette protestation : « Nous sommes de véritables chrétiens. Or, l’acte que vous venez accomplir ici nous éloignerait du Christ, qui est notre patrie céleste, notre seule patrie. Nous n’obéirons donc pas à vos ordres ; nous ne vous livrerons pas nos noms. Nous préférons mourir pour le Christ. »

Les recenseurs partirent, annonçant qu’ils reviendraient sous peu, avec des gendarmes.

Tous les moujiks du village se réunissent aussitôt chez Vitalia et tiennent conseil. A tout prix, il faut éviter le recensement, qui équivaut à la damnation éternelle. Après une courte délibération, hommes et femmes décident de s’enterrer vifs, avec leurs enfants. Animés d’une sombre ardeur, ils creusent fiévreusement quatre cryptes souterraines. Puis, s’étant revêtus de linceuls et tenant des cierges à la main, ils récitent sur eux-mêmes les prières des morts. Une dernière fois, Vitalia les exhorte sans leur cacher les souffrances effroyables qui les attendent, mais qui leur ouvriront directement le Royaume du ciel. Alors, avec des chants d’allégresse, tous se précipitent dans les fosses, qu’ils maçonnent au dedans. Lorsque les autorités enfin prévenues, procèdent à l’exhumation, il est établi que l’agonie des malheureux a duré plus d’un jour.

Ces épisodes tragiques sont rares. Mais les sectes religieuses, qui pullulent à l’ombre de l’orthodoxie, produisent continuellement des phénomènes d’exaltation collective. Tantôt, une crise de possession démoniaque éclate dans un village et s’étend de proche en proche. Tantôt, un ermitage ou un monastère devient le centre d’un mouvement prophétique. D’autres fois, un souffle de mysticisme idéaliste ou sensuel parcourt et affole tout un district.

Une des crises les plus bizarres, qu’on ait vues ces dernières années, est celle qui se produisit, aux environs de Kiew, dans la secte des Maliovannistes et qui se manifestait par des hallucinations de l’odorat. Au milieu de leurs extases, les adeptes, de simples paysans, croyaient soudain percevoir des parfums d’une ineffable suavité. Le visage illuminé, ils couraient çà et là, se