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tourbillons de fumée semblent porter jusqu’au ciel les chants qui s’affaiblissent. A l’instant où la masure s’écroule sur un monceau de cadavres, les soldats du Tsar envahissent la scène.

Pendant plus d’un siècle, le suicide par le feu, « la mort rouge » a sévi dans la secte du Raskol, en y consumant des milliers et des milliers de victimes. Le premier apôtre de la terrible doctrine fut un simple moujik, Basile Volosaty, né vers 1630 à Sokolsk, près de Wladimir. Il allait partout, répétant : « L’Antéchrist règne sur la terre et les prêtres de l’Église officielle subissent honteusement sa domination. Recevoir d’eux un sacrement, baptême, communion, mariage, extrême-onction, c’est recevoir le sceau de l’Antéchrist. Et celui qui se sera laissé infliger ce sceau, celui-là ne pourra plus jamais racheter ses péchés... Alors, comment faire son salut ? — Par le suicide. Il n’y a pas d’autre moyen. D’ailleurs, pour peu que l’on y songe, est-il possible d’hésiter ? En se faisant brûler, on échappe aussitôt à la puissance de l’Antéchrist ; on se nettoie de toutes ses souillures ; on meurt avec une foi intacte et une âme purifiée. Pour quelques minutes de souffrance, on acquiert la béatitude éternelle ; on est immédiatement accueilli dans la phalange des saints... »

La Volosatovchtchina se répandit avec une prodigieuse rapidité à travers la Russie ; elle s’accrédita surtout parmi les paysans et les moines. Ses foyers principaux étaient dans les régions de Wladimir, de Kostrama, de Souzdal, de Iaroslavl, de Novgorod, d’Onéga, de Viatka, de Perm et de la Sibérie occidentale. On comptait chaque année plusieurs milliers de victimes. En 1685, à Potchékonié, un seul autodafé consuma sept cents personnes. Il ne fallut pas moins que la féroce énergie de Pierre le Grand pour mettre un terme à cette démence.

Mais, de temps à autre, on a vu les mêmes aberrations reparaître. En 1860, dans la province d’Olonetz, les suicides par le feu se propagèrent subitement. Pour maîtriser l’épidémie, la police impériale dut agir avec une rigueur extrême.

De nos jours encore, les annales des sectes russes ont eu à enregistrer plusieurs cas d’autodafés volontaires et collectifs. En 1897, le village raskolnik de Ternow, sur le Dniester, fut terrorisé par la prédication d’une vieille femme délirante, Vitalia, qui annonçait l’arrivée imminente de l’Antéchrist ; elle le voyait