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chef des armées russes qui s’adresse officiellement à l’ambassadeur de France. En cette qualité, j’ai le devoir de vous déclarer que la coopération immédiate de l’Italie et de la Roumanie est d’une impérieuse nécessité. N’interprétez pas toutefois ces mots comme un cri de détresse. Je reste convaincu que, Dieu aidant, nous aurons la victoire. Mais, sans la coopération immédiate de l’Italie et de la Roumanie, la guerre se prolongera pendant de longs mois encore avec des risques terribles.

Je réponds alors au Grand-Duc que le Gouvernement français n’a cessé de multiplier ses efforts pour nous acquérir des concours :

— Japon, Grèce, Bulgarie, Roumanie, Italie, M. Delcassé a frappé à toutes les portes. En ce moment même, il s’ingénie à entraîner les Gouvernements roumain et italien. Mais je ne vous cacherai pas que les prétentions de la Russie sur Constantinople et les Détroits rendront peut-être impossible l’accession de ces deux Gouvernements à notre alliance.

— Oh ! cela, c’est l’affaire de la diplomatie... Je n’en veux rien savoir... Maintenant, causons intimement.

Il m’offre une cigarette, m’installe auprès de lui sur un divan et me pose mille questions au sujet de la France. A deux reprises, il me dit :

— Je ne trouve pas de mot pour exprimer l’admiration que m’inspire la France !

Le cours de l’entretien nous ramène à la conduite de la guerre. Je rapporte au Grand-Duc ce que l’Empereur m’a confié tout à l’heure sur le projet d’une offensive générale vers la Silésie par les défilés de l’Oder et de la Neisse :

— Je vous avoue que j’ai quelque peine à concilier ce projet avec les perspectives inquiétantes que m’a ouvertes votre déclaration.

La figure du Grand-Duc se rembrunit subitement :

— Je ne me permettrai jamais de discuter une opinion de Sa Majesté, sauf quand Elle me fait l’honneur de me demander mon avis.

On vient nous avertir que l’Empereur nous attend pour le thé.

Le Grand-Duc m’emmène avec lui. Au passage, il me montre son wagon, dont l’installation est aussi ingénieuse que confortable. Sa chambre à coucher, éclairée par quatre fenêtres sur