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— Non certes ! Mais tu peux lui dire que le bonheur du peuple ne se paie jamais trop cher et que la France lui donnera tout l’argent nécessaire... La France est si riche !

— La France est riche, parce qu’elle est très laborieuse et très économe... Tout dernièrement encore, elle a fait de grandes avances à la Russie.

— Des avances ?... Quelles avances ?... Je suis sûr que c’est encore une fois de l’argent pour les tchinovniks. Il n’en reviendra pas un kopeck aux paysans. Non, crois-moi ! Parle à l’Empereur comme je t’ai dit.

— Parle-lui toi-même ! Tu le vois beaucoup plus souvent que moi.

Ma résistance ne lui plaît pas. Relevant la tête et crispant la bouche, il réplique d’un ton presque insolent :

— Ça ne me regarde pas, ces affaires-là. Je ne suis pas le ministre des Finances de l’Empereur ; je suis le ministre de son âme !

— Eh bien ! soit ! ... A ma prochaine audience, je parlerai à l’Empereur dans le sens que tu désires.

— Merci ! Merci !... Un dernier mot. Est-ce que la Russie aura Constantinople ?

— Oui, si nous sommes vainqueurs.

— C’est sûr ?

— Je le crois fermement.

— Alors, le peuple russe ne regrettera pas d’avoir tant souffert et il acceptera de souffrir beaucoup encore.

Là-dessus, il embrasse Mme O..., me serre contre sa poitrine et sort à grands pas, en faisant claquer la porte.


XVIII. — LA QUESTION D’ORIENT


Samedi, 27 février.

La flotte anglo-française poursuit vigoureusement l’attaque des Dardanelles ; tous les forts extérieurs sont déjà réduits au silence. D’où un vif émoi dans le public russe qui s’attend avoir, d’un jour à l’autre, les navires alliés paraître devant la Corne d’or.

Le mirage byzantin fascine de plus en plus l’opinion, au point de la rendre presque indifférente à la perte de la Prusse orientale, comme si l’accomplissement du rêve byzantin n’avait pas, pour condition préalable, la défaite de l’Allemagne !