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ferré. Aussi, les pessimistes vont partout répétant : « Alors, nous ne battrons jamais les Allemands ! »

Au début de ce mois, le Duc de Guise (fils du Duc de Chartres) est arrivé incognito à Sofia, ayant accepté de Delcassé la mission d’agir sur le tsar Ferdinand pour le rallier à notre cause.

Ferdinand n’a mis aucun empressement à recevoir son neveu. Sous des prétextes divers, il ne lui a donné audience qu’après lui avoir infligé six jours d’attente. Introduit enfin au palais, le Duc de Guise a fait valoir fortement les raisons politiques qui devraient déterminer la Bulgarie à s’engager dans notre coalition ; il a invoqué avec plus de chaleur encore les « arguments de famille » qui imposent au petit-fils du roi Louis-Philippe le devoir de secourir la France. Le tsar Ferdinand l’a écouté de son air le plus attentif et le plus aimable ; mais il lui a déclaré sans ambages qu’il était résolu à garder sa liberté d’action. Puis, brusquement, avec un mauvais sourire, comme j’en ai tant vu se dessiner sur sa bouche, il a poursuivi : — « Maintenant que la mission dont tu t’es chargé est finie, redeviens mon neveu. » Et il n’a plus parlé que de choses banales.

Le Duc de Guise a été reçu trois fois au Palais pendant les jours suivants, mais sans pouvoir ramener la conversation sur le terrain politique. Il est parti le 13 février pour Salonique.

L’échec de sa mission est significatif.



Mardi, 23 février.

Les Allemands continuent de progresser entre le Niémen et la Vistule.

Constatant la fatigue de ses troupes et l’épuisement de ses munitions, le Grand-Duc Nicolas m’avait fait savoir discrètement, il y a quelques jours, qu’il serait heureux de voir l’armée française prendre l’offensive, afin d’arrêter le transport des forces allemandes vers le front oriental.

En communiquant ce désir au Gouvernement français, j’avais eu soin de rappeler que le Grand-Duc Nicolas n’avait pas hésité à sacrifier l’armée du général Samsonow, le 29 août dernier,