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longueur même des offices ont comme une vertu d’incantation qui évoque les âmes et les extériorise.

Dans les physionomies que j’ai là devant moi, deux impressions se dégagent bientôt : la foi et la résignation, une foi simple, contemplative et sentimentale, une résignation muette, passive et endolorie.

Fatalisme et piété, c’est le fond de toutes les âmes russes. Pour la plupart d’entre elles, Dieu n’est que le synonyme théologique du Destin.



Jeudi, 18 février 1915.

La 10e armée n’a pas encore réussi à se dégager entièrement de l’étreinte allemande. Forte de quatre corps, soit une douzaine de divisions, elle aurait déjà laissé entre les mains de l’ennemi 50 000 prisonniers et 60 canons.

Je dîne à Tsarskoïé-Sélo, chez le Grand-Duc Paul, dans l’intimité.

Le Grand-Duc me questionne anxieusement sur les opérations qui viennent de faire perdre à la Russie l’inappréciable gage de la Prusse orientale, et chaque détail qu’il apprend de moi lui arrache un profond soupir :

— Où cela nous mène-t-il, grand Dieu ! ...

Puis, se ressaisissant avec un beau geste de résolution, il reprend :

— N’importe ! Nous irons jusqu’au bout. S’il faut reculer encore, nous reculerons ; mais je vous garantis que nous poursuivrons la guerre jusqu’à la victoire... Je ne fais d’ailleurs que vous répéter là ce que l’Empereur et l’Impératrice me disaient avant-hier. Ils sont admirables de vaillance, tous les deux. Jamais un mot de plainte, jamais un mot de découragement. Ils ne cherchent qu’à se soutenir l’un l’autre. Aussi, personne dans leur entourage, personne n’ose plus leur parler de la paix.



Dimanche, 21 février.

Le Communiqué de la Stavka annonce et explique sans trop de réticences l’évacuation de la Prusse orientale. Ce qui frappe surtout le public, c’est l’insistance de l’État-major russe à signaler la supériorité que les Allemands doivent à leur réseau