Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communication quotidienne ; mais il me faut un mot de réponse à Rome. Nous devons faire une halte encore pour relayer avant d’arriver à Tripolis ; j’y trouverai bien une lampe fumeuse pour griffonner quelque chose.


11 heures du soir.

Je l’ai trouvée, la lampe fumeuse, et sans métaphore, dans un pauvre misérable khani ‘auberge), à je ne sais quel tournant de montagne, à deux heures de Tripolis : un âtre ouvert emplit la pièce de fumée ; terre battue et murs en boue ; recoins sordides où animaux et gens fraternisent ; dans une poterie de forme antique, un lumignon nage dans l’huile ; mais ils s’empressent, les braves gens : l’homme en fustanelle accroche la lampe à un clou, au-dessus de ma valise-table ; la femme me fait durcir des œufs, et il y a deux amours de petits enfants : Pavlos, qui a deux ans et demi, a d’abord de moi une peur bleue, et puis je l’apprivoise avec des rondelles de Marquis, et le voici maintenant blotti sur mon banc, sous mon épaule, à me regarder écrire en grignotant, et je suis en joie de cette caresse d’enfant dans ce khani perdu ; la fillette de huit ans, Ellen, fixe sur le petit frère des yeux protecteurs et satisfaits.


Ce voyage est charmant : la seule ombre, c’est mon drogman ; un brave garçon dégourdi, empressé, économe, mais quel bavard ! quel raseur ! « Trop de zèle ! » m’avait-on dit de lui à Athènes en me le donnant. Ah ! oui, par exemple, ignorant comme une carpe, il s’obstine à tout m’expliquer ; mes « absorptions » l’horripilent ; il ne comprend pas qu’on ne cause pas II professe à propos de tout un catholicisme encombrant dont il m’assomme. Vanitas vanitatum ! bêle-t-il devant le tombeau des Atrides, et il se met à larmoyer. Je lui demande : « Dans la religion grecque, sonne-t-on à midi l’angélus ? » Il n’écoute pas, n’entend que le dernier mot et continue, les yeux au ciel : «... Nuntiavit Mariæ..., etc., » jusqu’à la fin, sans que je puisse l’arrêter. Le pire, c’est que, marchand de vin de Santorin, il ne voit dans notre tournée qu’une occasion de placer sa marchandise, et à peine ai-je lié conversation avec quelqu’un d’intéressant qu’il sort un flacon de sa poche, fait goûter, offre une pièce ; j’ai l’air de ne voyager que pour faire valoir son article ; c’est fort désobligeant.