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Cette manifestation de despotisme et d’iniquité a lieu de surprendre chez l’Impératrice-philosophe, chez l’amie de Voltaire, de d’Alembert et de Diderot, chez la souveraine qui prétendait puiser ses inspirations politiques dans l’Esprit des Lois. Mais un grief puissant, quoique indirect, la soulevait de colère contre les Juifs. Elle détestait la Révolution française ; elle la poursuivait de sa haine et de ses invectives ; elle y voyait une menace terrible pour tous les trônes, une entreprise criminelle et diabolique. Or, le 27 septembre 1794, l’Assemblée constituante avait émancipé les Juifs, en leur reconnaissant l’égalité des droits civils. Catherine II riposta par son ukase du 23 décembre, que des mesures postérieures aggravèrent encore.

Ainsi, par un contre-coup ironique du destin, l’initiative généreuse de la Révolution française ouvrit, à l’autre bout de l’Europe, une ère de persécutions qui comptera parmi les plus longues et les plus pénibles qu’Israël ait connues à travers les âges.



Mardi, 16 février.

La 9e armée a grand’peine à se dégager de la région forestière qui s’étend à l’Est d’Augustow et de Suwalki. Plus au Sud, à Kolno, sur la route de Lomza, une de ses colonnes a été cernée et anéantie. Les « communiqués » de la Stavka se bornent à déclarer que, sous la pression de forces importantes, les troupes russes se retirent vers la ligne fortifiée du Niémen. Mais le public comprend...

Cet après-midi, traversant le quartier industriel de Kolomna, je passe devant l’église de la Résurrection. Un convoi funèbre s’y arrête au même instant. Le cortège, assez nombreux, est uniquement composé d’ouvriers et de moujiks.

Je fais stopper mon automobile à l’angle de la Torgovaïa et, sous le regard scandalisé de mon chasseur, je vais me mêler à la foule populaire qui suit le cercueil.

Combien de fois l’ai-je observé ! Nulle part les visages russes ne sont aussi expressifs que dans les églises. La pénombre mystérieuse des nefs, le scintillement des cierges, l’irradiation des icônes et des reliquaires, le parfum de l’encens, l’émouvante beauté des chants, le hiératisme imposant des costumes sacerdotaux, la magnificence de tout l’appareil liturgique, la