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loyal ; il vient de traduire assez exactement ce que pense le public russe dans ses parties les plus saines [1].



Lundi 15 février.

Dans la région de Tilsitt sur le bas Niémen, jusqu’à celle de Plotzk sur la Vistule, c’est-à-dire sur un front de 450 kilomètres, l’armée russe recule. Elle a perdu ses retranchements de l’Angerap et tous les défilés des lacs de Mazurie, qui étaient si favorables à la défense ; elle se retire précipitamment vers Kowno, Grodno, Ossowetz et la Narew.

Je parle de la Pologne avec le comte R..., qui est un fougueux nationaliste.

— Avouez, dis-je, que les Polonais ont quelques motifs de ne pas porter la Russie dans leur cœur.

— C’est vrai ; nous avons eu parfois la main un peu dure avec la Pologne... Mais la Pologne nous l’a bien rendu.

— Et comment cela ?

— En nous donnant les Juifs.

Il est exact que la question juive n’existe pour la Russie que depuis les partages de la Pologne.

Jusqu’alors, le tsarisme n’avait eu d’autre politique envers les Juifs que de les expulser ou de les supprimer. Il fallut renoncer à ces procédés sommaires, quand on eut à régler le sort des grandes communautés Israélites établies sur les territoires annexés. On leur assigna une zone de résidence aux confins occidentaux de l’empire et on les soumit à quelques prescriptions de police qui n’étaient pas trop vexatoires.

Mais, pendant que se préparait le second partage, Catherine II inaugura brusquement à l’égard des Juifs le régime de rigueur et d’asservissement dont ils ne sont pas encore affranchis Par un ukaze en date du 23 décembre 1791, elle restreignit leur zone de résidence ; elle leur interdit le travail agricole ; elle les séquestra dans les villes comme dans des ghettos ; enfin, elle posa l’odieux principe qui n’a pas cessé de prévaloir et d’après lequel ce qui n’est pas expressément permis aux Juifs leur est défendu.

  1. Le docteur Chingariew a fait partie du Gouvernement provisoire en mars 1917 ; les Bolchévistes l’ont assassiné, le 20 janvier 1918.