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anachronismes du tsarisme vous inquiètent. Vous n’avez pas tort. Mais peut-on entreprendre une réforme de quelque importance, pendant la guerre ? Non, certes ! car enfin, si le tsarisme a de graves défauts, il a aussi des qualités de premier ordre, des vertus irremplaçables : il est le lien puissant de tous les éléments hétérogènes que le travail des siècles a peu à peu groupés autour de l’ancienne Moscovie. C’est le tsarisme seul qui fait notre unité nationale. Rejetez ce principe vigoureux et vous verrez aussitôt la Russie se démembrer, tomber en déliquescence. Qui en profiterait ? Ce ne serait pas la France assurément... Un des motifs qui m’attachent le plus fortement au tsarisme, c’est que je le crois capable d’évolution. Il a déjà si souvent évolué ! L’institution de la Douma en 1905 est un fait énorme qui a changé toute notre psychologie politique. Je considère qu’une « limitation plus précise du pouvoir impérial est encore nécessaire et qu’il faudra étendre aussi le contrôle de la Douma sur l’administration ; j’estime enfin qu’il faudra opérer, dans tous nos services publics, une large décentralisation. Mais, je vous le répète, monsieur l’ambassadeur, cela ne pourra se faire qu’après la guerre... Pour l’instant, comme je le disais l’autre jour à Sa Majesté, le devoir essentiel des ministres est de dissiper la mésintelligence qui se manifeste depuis quelques mois entre le Gouvernement et l’opinion publique : c’est la condition sine quâ non de notre victoire...



Mardi, 9 février.

Aujourd’hui, vive animation au Palais de Tauride, où la Douma rouvre sa session.

La Déclaration du Gouvernement est bien telle que Krivochéïne me l’avait annoncée : je ne pouvais souhaiter un langage plus résolu. Tonnerre d’applaudissements, lorsque Gorémykine enfle autant qu’il peut sa faible voix pour lancer cette phrase :

La Turquie s’est ralliée à nos ennemis : mais ses forces militaires sont déjà ébranlées par nos glorieuses troupes du Caucase et, de plus en plus nettement, se dessine devant nous l’avenir radieux de la Russie, là-bas, sur les rives de la mer qui baigne les murs de Constantinople.

Puis, discours chaleureux de Sazonow qui, très prudemment,