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contre les allusions au Tsar. Dans un ordre à l’armée, il dénonce comme un crime abject ce procédé insidieux de l’ennemi et il termine ainsi : Tout sujet féal sait qu’en Russie, chacun, depuis le généralissime jusqu’au simple soldat, n’obéit qu’à la volonté sacrée et auguste de l’Oint de Dieu, notre Empereur hautement révéré, qui seul possède le pouvoir d’engager et de terminer la guerre.



Lundi, 25 janvier.

Quelques emplettes m’attirent cet après-midi à Wassily-Ostrow, l’île où se concentre la vie intellectuelle de Pétrograd, où sont groupés l’Académie des Sciences, l’Académie des Beaux-Arts, l’École des Mines, l’École navale, le Muséum de Zoologie, l’Institut d’Histoire et de Philologie, plusieurs gymnases, les Laboratoires de Physique et de Chimie, tous les grands établissements pédagogiques.

Profitant d’une éclaircie dans le ciel, je laisse là mon auto et je me promène à l’aventure dans les rues. Je croise, à chaque pas, des étudiants. Combien leurs physionomies diffèrent de celles qu’on observe dans le Quartier Latin de Paris ou dans les rues d’Oxford et de Cambridge ! Chez les étudiants français, le regard, le geste, la voix, toute la personne exprime habituellement la jeunesse, l’animation, l’insouciance, une joie légère de vivre et de comprendre ; même ceux dont le masque est fatigué laissent transparaître dans leurs prunelles une intelligence lucide et ouverte. Chez les étudiants anglais, au teint clair, aux membres découplés, ce qui prédomine, c’est l’air résolu, l’esprit positif, la raison froide, ferme, équilibrée. Ici, rien de tel. D’abord, l’extérieur est le plus souvent minable : les visages hâves, les traits tirés, les joues creuses, les torses émaciés, les bras grêles, les échines incurvées. Ces corps malingres, qu’enveloppent des vêtements avachis, loqueteux, attestent la condition misérable du prolétariat universitaire en Russie. Beaucoup d’étudiants n’ont pas plus de vingt-cinq roubles, soixante francs, à dépenser par mois, c’est-à-dire le tiers de ce qu’il faut strictement pour subvenir à une existence normale dans un climat si rude. L’insuffisance de la réparation physiologique n’a pas seulement pour effet de débiliter l’organisme ; combinée avec l’effort cérébral et les soucis moraux, elle entretient le système