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Avec une chaleur, où l’on sent vibrer le patriotisme et la colère, il ajoute ;

— Le Tsar est l’oint du Seigneur, l’envoyé de Dieu pour être le tuteur suprême de l’Église et le chef tout-puissant de l’Empire [1]. Dans la foi populaire, il est même l’image du Christ sur la terre, le Christ russe. Et puisqu’il tient son pouvoir de Dieu, il n’en doit compte qu’à Dieu... L’essence divine de son autorité a cette autre conséquence que l’autocratisme et le nationalisme sont inséparables... Anathème donc aux insensés qui osent porter la main sur ces dogmes ! Le libéralisme constitutionnel est une hérésie avant d’être une chimère et une stupidité. Il n’y a de vie nationale que dans le cadre de l’autocratisme et de l’orthodoxie. Si des réformes politiques sont nécessaires, elles ne peuvent s’accomplir que dans l’esprit de l’autocratisme et de l’orthodoxie.

Je réponds :

— De tout ce que vous venez de me dire, Excellence, je retiens principalement que la force de la Russie a comme condition essentielle une étroite union de l’Empereur et du peuple. Pour des motifs différents des vôtres, j’arrive à la même conclusion. Je ne cesse donc pas de prêcher cette union.

Lorsqu’il s’est retiré, je réfléchis que je viens d’entendre exposer la doctrine du tsarisme intégral, telle que le fameux Procureur du Saint-Synode, Pobédonostsew, l’enseignait, il y a vingt ans, à son jeune élève Nicolas II, telle aussi que le grand écrivain Mérejkowsky la définissait naguère dans une magistrale étude sur les troubles insurrectionnels de 1905.



Jeudi, 21 janvier.

La propagande de pacifisme, que l’Allemagne poursuit si activement à Pétrograd, sévit aussi dans les armées du front. Sur plusieurs points, on a saisi des proclamations rédigées en russe, incitant les soldats à ne plus se battre et affirmant que l’empereur Nicolas, dans son cœur paternel, est déjà tout acquis à l’idée de la paix. Les troupes restent indifférentes à ces appels. Le Grand-Duc Nicolas a cru pourtant nécessaire de protester

  1. Le Tsar n’est pas, comme on l’écrit souvent, le chef de l’Église : il n’en est que le tuteur suprême. Au point de vue religieux, il n’a d’autre prérogative que de communier en prenant lui-même, sur l’autel, le calice et le pain.