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Joffre m’a prié de transmettre au Grand-Duc Nicolas. J’ajoute que, dans sa récente déclaration aux Chambres, le gouvernement de la République a solennellement proclamé sa résolution de poursuivre la guerre à outrance et que cette résolution nous garantit la victoire finale. L’Empereur me répond :

— J’ai lu cette déclaration de votre Gouvernement et j’y ai applaudi de tout mon cœur. Ma résolution à moi n’est pas moins ferme. Je poursuivrai la guerre aussi longtemps qu’il faudra pour nous assurer une pleine victoire... Vous savez que je viens de visiter mon armée ; je l’ai trouvée superbe d’ardeur et d’élan ; elle ne demande qu’à se battre ; elle est sûre de vaincre. Malheureusement, le défaut de munitions arrête nos opérations. Il va falloir patienter quelque temps. Mais ce n’est là qu’un arrêt passager et le plan général du Grand-Duc Nicolas n’en sera aucunement modifié. Aussitôt que possible, mon armée reprendra l’offensive, et, tant que nos ennemis ne demanderont pas grâce, elle continuera la lutte... Le voyage que je viens de faire à travers toute la Russie m’a prouvé que je suis en intime communion avec mon peuple.

Je le remercie de ces paroles. Après un instant de silence, il redresse sa taille et, d’une voix vibrante, martelée, que je ne lui connaissais pas, il prononce :

— Je tiens encore à vous dire, monsieur l’ambassadeur, que je n’ignore pas certaines tentatives qu’on a faites, à Pétrograd même, pour accréditer l’idée que je suis découragé, que je ne crois plus à la possibilité d’écraser l’Allemagne, enfin que je songe à négocier la paix. Ce sont des misérables, ce sont des agents allemands, qui ont répandu ces bruits. Mais tout ce qu’ils ont pu inventer ou machiner n’a aucune importance. C’est ma volonté seule qui compte et vous pouvez être sûr qu’elle ne changera pas.

— Le Gouvernement de la République a dans les sentiments de Votre Majesté une confiance absolue. Il n’a donc pu que dédaigner les misérables intrigues auxquelles vous voulez bien faire allusion. Il n’en sera pas moins touché des affirmations que je vais lui rapporter au nom de Votre Majesté.

Sur quoi, me serrant la main, il reprend :

— Je vous exprime, pour vous personnellement, mon cher ambassadeur, mes vœux très amicaux.