Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mercy avait remis aux princes de Conti et de La Roche-sur-Yon un reçu des lettres saisies sur lui, pièce parfaitement en règle, signée de M. de Bissy, par ordre du Roi. Voilà ce qui les talonnait sur la route de France. Conti surtout avait hâte d’arriver. La Roche-sur-Yon, par complaisance pour son frère, fit avec lui « en six jours la route de douze. »

Le 30, à six heures du soir, ils arrivaient à Strasbourg et descendaient à l’hôtel du gouverneur de la ville, M. de Chamilly, qui fut fort étonné de les voir entrer dans son cabinet. Ils lui dirent qu’ils s’étaient privés du plaisir de finir la campagne pour ne pas déplaire au Roi plus longtemps, et qu’ils allaient attendre ses ordres à Meaux. C’était un conseil que leur avait donné M. de Xaintrailles, secrètement dépêché à leur rencontre par Monsieur le Prince.

Le lendemain, ils repartirent en poste, et leur mince équipage surprit le gouverneur qui écrivit à Louvois : « Ils ne se sont pas enrichis des dépouilles des Turcs, car ils n’avaient que la chemise qu’ils avaient sur le dos. » Cette réflexion allait passer sous les yeux du Roi avec le rapport de M. de Chamilly. Elle ne pouvait que l’attendrir sur le sort des deux coupables. En même temps, Monsieur le Prince s’efforçait d’obtenir les conditions les plus douces.

Ce ne fut pas chose facile, car le mécontentement du Roi n’était nullement apaisé. Le Roi finit cependant par dire qu’il leur permettait de se présenter devant lui, mais avant d’avoir vu personne, afin d’implorer eux-mêmes leur pardon. Il ajouta que l’aîné des princes perdrait les grandes entrées, et qu’il le lui ferait savoir par la princesse de Conti. Condé répondit qu’il fallait laisser à sa nièce « l’emploi de porter de bonnes nouvelles, quand il y en aurait ; c’était à lui de porter les mauvaises et il s’en chargeait. »

Louvois annonça à Mme de Conti le 1er septembre que les princes revenaient. Un courrier était allé les assurer de la part du Roi qu’ils seraient les bienvenus. Le même courrier, qui apportait leur grâce à Conti et à La Roche-sur-Yon, signifia à M. de Turenne, qu’il atteignit à Château-Thierry, l’ordre de sortir du Royaume. Châtiment mérité de son outrecuidance ! Ne se souvenait-il plus que, si le Roi lui avait accordé l’autorisation de servir en Pologne, cette autorisation n’était qu’un exil déguisé ? N’avait-il pas cru « raccommoder ses affaires » avec la