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d’abord et puis il prend dans ses bras deux si gentils enfants de trois et quatre ans, il les embrasse avec une si vraie tendresse que sa guenille s’éclaire et je l’aime.


Je ne distingue plus Sparte que me cache, — pour toujours probablement, — le dernier tournant de la route, mais je vois en plein Mistra dont la lorgnette me rend tous les détails. Mistra ! Ah ! dépêchons-nous d’en jouir, tandis qu’il n’est pas encore banal. Quand, dans quelques années, sera construit le chemin de fer de Sparte, il n’y aura pas un Anglais qui ne s’offre annuellement ce déplacement : un funiculaire hissera les misses aux 450 mètres de la Tour de la citadelle : il y aura un bar et des sandwichs au Palais de Villehardouin et l’entrepreneur de cette exploitation paiera une robe neuve au vieux pappas, qui, ce matin, sur la terrasse de ce cloître exquis suspendu sur la vallée, me faisait offrir des raisins confits par sa jolie fille, tandis qu’il manipulait des vers à soie.

Mais tu ne te doutes certainement pas de ce que c’est que Mistra. Nous ne pensons qu’aux Grecs en Grèce et nous ne voyons qu’à travers un brouillard l’Empire franc des Croisés. Or il y a eu là pendant deux siècles toute une poussée de vie, une superposition étrange de deux civilisations, de deux mondes, et de cette domination des ducs d’Athènes, des princes de Morée, des marquis de Nauplie est née une vigoureuse et originale floraison où le roman et le gothique se sont greffés sur le byzantin, l’Occident naissant sur le vieil Orient. Et voilà comment tant de sommets du Péloponèse sont encore couronnés de châteaux francs, dont Mistra est le plus étonnant spécimen. Jusqu’ici, l’école d’Athènes a méprisé tout ce moyen âge, mais voici qu’on s’en émeut et que l’étude en commence. Avant mon départ de Paris, M. Gaston Paris m’avait dit : « Surtout allez à Mistra. » Hélas ! en eussé-je eu le temps que la science m’eût manqué pour tirer parti de cette richesse d’inscriptions, de fresques, de fragments encore inexplorés qui attendent leur Rossi.

En bon dilettante, c’est en ignorant que j’ai joui, mais combien ! de cette extraordinaire vision d’un burg des Niebelungen en plein Péloponèse.

Donc, ce matin, sur un petit cheval blanc que m’avait prêté l’officier sorti de Saint-Cyr, avec une bride de maroquin et un