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avaient en effet produit une impression fâcheuse sur le prince de La Roche-sur-Yon, Notre cadet « ne voulut plus s’assujettir aux leçons dont son frère était délivré ; j’en parlai, dit l’abbé Fleury, à Monsieur le Prince qui n’appuya pas le dessein que j’avais de le faire continuer et je me tins en repos. Le jeune prince n’eut plus d’occupation réglée que les exercices du cheval et des armes et demeura sous la conduite d’un gouverneur peu capable de prendre autorité sur lui. Ainsi, avant l’âge de seize ans, il se trouva livré à ses passions et aux tentations les plus dangereuses de la cour dont il était les délices. »


LA VIE ET LES DÉPENSES DU PRINCE DE LA ROCHE-SUR-YON

Grand et bien proportionné, quoiqu’on vît à sa taille qu’il était fils d’un bossu, la tête charmante sous une forêt de cheveux châtains qui, fort avantageusement, remplaçaient la perruque à la mode, et dont les boucles sombres encadraient un visage d’un joli tour et d’un joli teint, « blanc, mêlé d’incarnat, » tel apparaissait, en 1680, le jeune prince de La Roche-sur-Yon, tel il enchanta toujours tous ceux qui l’approchèrent. Le nez était grand, mais régulier, la bouche bien dessinée. Des yeux bleus fort vifs éclairaient cette physionomie d’un regard doux et riant. Qu’ils soient du marquis de Sourches, de La Fare ou de Mme de Caylus, les Mémoires sont unanimes sur l’agrément extraordinaire de toute la personne. « Jusqu’aux défauts de son corps et de son esprit, s’écrie Saint-Simon, émerveillé d’une pareille séduction, avaient des grâces infinies : des épaules trop hautes, la tête un peu penchée de côté, un rire qui eût tenu du braire dans un autre, enfin une distraction étrange. Galant avec toutes les femmes, amoureux de plusieurs, bien traité de beaucoup, il était encore coquet avec tous les hommes : il prenait à tâche de plaire au cordonnier, au laquais, au porteur de chaise, comme au ministre d’État, au grand seigneur, au général d’armée, et si naturellement que le succès en était certain. »

Dès 1680, et bien que Saint-Simon ne nous ait pas donné un portrait du prince de La Roche-sur-Yon a seize ans, mais qu’il ait peint son modèle vers la quarantaine, on devinait certainement les prémices de tant de belles qualités, la complaisance, la politesse « distinguée selon le rang, l’âge, le mérite, » cette faculté si rare de placer u avec un art imperceptible ce qu’il