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qu’Emile sache un métier ; et Mme de Genlis, dont l’élève (le futur roi Louis-Philippe) sera capable d’être tour à tour menuisier, palefrenier, maçon, forgeron, frater même et « saignant son homme comme Figaro. »

Cet enseignement oral de chaque minute et à propos de tout venait, n’en doutons pas, compléter le programme exposé plus haut dans la lettre à l’abbé Cassagne. Il s’ajoutait à celui du latin « nécessaire pour entendre les livres » et pour la commodité des voyages ; car « cette seule langue peut conduire dans tout le Nord et tient lieu de plusieurs autres ; » du droit privé et surtout du droit public, si utile aux enfants destinés à occuper de grandes places ; de l’histoire, dont « un prince ne pouvait trop savoir ; » de l’espagnol que La Roche-sur-Yon comprenait ; de l’italien qu’il possédait à fond et qui était pour lui sa véritable langue maternelle, de l’allemand qu’il parlait ainsi que le devait un futur homme d’épée ; probablement des sciences, l’arithmétique, la géométrie, la mécanique dont Fleury recommande l’étude aux gens de guerre, mais qu’il ne devait pas enseigner lui-même.

Que pouvait devenir, soumis à une telle éducation, un prince admirablement doué ? Saint-Simon va nous le dire : « Un très bel esprit, lumineux, juste, exact, vaste, étendu, d’une lecture infinie, qui n’oubliait rien, qui possédait les histoires générales et particulières, qui connaissait les généalogies, leurs chimères et leurs réalités, qui savait où il avait appris chaque chose et chaque fait, qui en discernait les sources, et qui retenait et jugeait de même tout ce que la conversation lui avait appris, sans confusion, sans mélange, sans méprise, avec une singulière netteté, » « les constantes délices du monde, de la cour, des armées, la divinité du peuple, l’idole des soldats, le héros des officiers, l’espérance de ce qu’il y avait de plus distingué, l’amour du Parlement, l’ami avec discernement des savants, et souvent l’admiration de la Sorbonne, des jurisconsultes, des astronomes et des mathématiciens les plus profonds. » Et si le ton enthousiaste de Saint-Simon inspire quelque défiance, écoutons la voix calme du sage Fleury lui-même : « Cette étendue de connaissances lui donnait la facilité de s’entretenir avec toutes sortes de personnes et d’accommoder la conversation à la portée de chacun. Gens de guerre, gens de robe, ecclésiastiques, savants, ignorants, tous lui convenaient, et il convenait à tous. Il raisonnait avec