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couronnes et aux prix grâce à une prodigieuse mémoire, doués de beaucoup d’imagination et de peu de jugement. C’est une de ses maximes « qu’il n’y a que trop de bel esprit dans le monde, mais qu’il n’y aura jamais assez de bon sens. » Pour lui, l’éducation est l’apprentissage de la vie ; le disciple doit devenir « honnête homme » et « habile homme, » selon la profession qu’il embrassera.

Cet apprentissage, Fleury le commence en essayant de donner à l’enfant de l’attention, et, pour cela, de rendre le travail attrayant. Il veut engager par le plaisir et retenir par la crainte ; mais la page délicieuse, où il explique sa méthode, ne permet pas d’imaginer que la salle d’études du prince de La Roche-sur-Yon retentit souvent du bruit des férules. Je voudrais, dit le bon Fleury, qu’on instruisit plus volontiers l’enfant « dans un beau jardin ou à la vue d’une belle campagne, par un beau temps, et quand il serait lui-même dans la plus belle humeur. Je voudrais que les premiers livres dont il se servirait fussent bien imprimés et bien reliés ; que le maître lui-même, s’il était possible, fût bien fait de sa personne, propre, parlant bien, d’un beau son de voix, d’un visage ouvert, agréable en toutes ses manières. »

Fleury, de figure sympathique, de caractère facile, et qui avait une éloquence simple et douce, n’était pas loin de ressembler à ce maître idéal. Quand il causait avec son élève, « en hors-d’œuvre et comme sans dessein, » ce qui, selon lui, formait une partie très importante de l’étude, un esprit aussi fin et aussi bien doué que celui de La Roche-sur-Yon ne pouvait pas rester insensible à tant de bon sens et de charme. Le prince entendit sans doute développer indirectement plus d’une fois les idées que nous retrouvons aujourd’hui dans le livre de Fleury.

Fleury dut aussi, comme il le conseille dans le Traité des études, apprendre à son élève par la conversation et la promenade, ce qu’il appelle l’Économique, lui montrer à la maison ou ailleurs la manière de faire « le pain, la toile, les étoffes, » le mener voir travailler les ouvriers, lui enseigner le prix des choses et l’art de voyager. Et ici l’honnête Fleury, si inattendu que cela paraisse, ressemble à l’étincelant, au truculent Rabelais, car le précepteur Ponocrates lui aussi voulait que son élevé Gargantua profitât de pareilles leçons. Et il annonçait Rousseau, qui voudra