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frère cadet du Grand Condé, et sa mère, Anne-Marie Martinozzi, une de ces charmantes nièces de Mazarin, qui arrivèrent à de si hautes fortunes. L’enfant, leur second fils, — l’ainé Louis-Armand avait alors trois ans, — fut baptisé à Saint-Sulpice le jour même de sa naissance. Il eut son oncle Condé pour parrain, et, pour marraine, sa tante, la duchesse de Longueville. On lui donna d’abord le titre de comte de La Marche, puis de comte de Clermont, et bientôt de prince de La Roche-sur-Yon. La mort de son père et de son frère aîné devait lui permettre de s’appeler à son tour le prince de Conti.

Rien de plus austère que le milieu où la Providence le plaçait à son entrée en ce monde. Les parents, jansénistes convaincus, étaient rigides comme Port-Royal. Qu’ils fussent dans leur hôtel du quai ou dans un de leurs châteaux, à Noisy près de Versailles, à l’Isle-Adam près de Pontoise, au Bouchet non loin de Corbeil, à l’Isle-Jourdain en Armagnac, en Languedoc, à la Grange des Prés, leur maison était un véritable couvent. La règle obligeait les maîtres d’hôtel d’assister aux exercices de piété, couchait les valets de pied à sept heures, les faisait surveiller dans leurs chambres, les forçait, le soir, d’aller à la prière, le matin, d’entendre la messe, d’apprendre à lire et à écrire ; avertissait les cochers de se retirer à huit heures en été, à sept heures en hiver, et, s’ils étaient célibataires, de ne jamais découcher.

Le prince lui-même, qui avait encouragé les débuts de Molière à Pézenas, s’interdisait le plaisir du théâtre, et enlevait à la troupe du poète le titre de comédiens ordinaires du prince de Conti. Molière n’était pas homme à ne pas se venger. A Don Juan il donna plus d’un trait de ressemblance avec son ancien protecteur.

Ce Conti, si dévot à trente-quatre ans, avait-il donc été, selon les fortes expressions du valet de Don Juan, « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un turc, un diable, un hérétique qui ne croit ni ciel, ni saint, ni dieu, ni loup-garou ? » Fallait-il voir en lui le meurtrier du Commandeur, « l’épouseur à toutes mains ? » Non sans doute ; mais, destiné dès l’enfance aux ordres sacrés, fort séduisant quoique bossu, avec sa magnifique chevelure, son joli visage, des yeux qui reflétaient une âme spirituelle, mobile et légère, il s’était montré débauché et libertin. « Enfin,