Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non, la résistance du Gouvernement allemand n’était pas le moins du monde surprising. Elle était l’aboutissement d’une longue série d’efforts concertés. Depuis plus d’un an, le mouvement d’opposition au Traité n’a pas cessé de se développer en Allemagne. C’est, au fond, la politique de Brockdorff-Rantzau, momentanément mise en échec par la coalition des socialistes majoritaires, des indépendants et du Centre, qui, par suite de notre condescendance, a pris sa revanche et triomphe aujourd’hui. N’oublions pas que le 7 mai 1919, lorsque les Alliés avaient communiqué à la délégation allemande le texte primitif du traité, M. de Brockdorff-Rantzau avait déjà donné lecture d’une longue protestation. Il avait nié que son pays fût seul responsable de la guerre et il avait doucereusement suggéré l’idée d’une collaboration de tous les peuples pour le relèvement de l’Europe. Puis, pendant trois semaines, la délégation allemande, restée en contact avec le Gouvernement du Reich et avec l’Assemblée nationale de Weimar, avait attentivement étudié tous les articles du Traité. Le 29 mai, M. de Brockdorff-Rantzau avait remis à la Conférence un mémoire qui contenait les conclusions de cette étude et qui constituait, à vrai dire, tout un contre-projet. J’ai bien souvent fait allusion à ce mémoire, parce qu’il éclaire du jour le plus cru l’attitude actuelle de l’Allemagne. Toutes les chicanes ranimées depuis la signature du Traité y couvent déjà. Sur plusieurs points, les Alliés ont cédé ; mais, partout où le texte initial a été maintenu, l’Allemagne a repris obstinément ses thèses de 1919. Lorsque, le 19 juin, M. Scheidemann a démissionné pour ne pas donner son adhésion au Traité et qu’un nouveau cabinet ayant été formé par M. Bauer, l’Assemblée nationale a approuvé la signature par 237 voix contre 138, M. Bauer lui-même a encore réservé l’avenir en adressant à la Conférence une nouvelle protestation. Les conditions imposées à l’Allemagne dépassaient, disait-il, la mesure de ce qu’elle pouvait matériellement exécuter, et l’acceptation finale était elle-même accompagnée de cette réserve inacceptable : « Le Gouvernement de la République allemande est prêt à signer le traité de paix, sans reconnaître toutefois par là que le peuple allemand fût l’auteur de la guerre et sans prendre l’engagement d’opérer les remises demandées par les articles 227, 228, 229 et 230 du traité de paix. » Cette restriction fut naturellement repoussée par les Alliés et, le 13 juin, l’Allemagne consentit enfin à signer sans réserve. Mais elle prenait encore soin d’ajouter qu’elle ne cédait qu’à la force. M. de Brockdorff-Rantzau avait, à son tour, donné sa démission et il n’était pas le seul