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pour Barnac, qui savourera les joies amères du renoncement. Marthe accepte d’enthousiasme cet arrangement qui concilie tout. Elle est ravie, enchantée, radieuse, aux anges. Elle s’en va en sautant de joie. Barnac reste seul : un sanglot nous avertit de son intime détresse... Ce sont, comme on voit, toujours les mêmes peintures que M. Bataille nous présente, dans la même atmosphère et par des procédés qui ne changent pas. Et certes la tendresse est une jolie chose, une nuance de sentiment délicate et fine, mais qui semble un peu dépaysée dans le milieu où l’auteur la fourvoie.

La pièce est très bien jouée. Mlle Yvonne de Bray est charmante de gaieté, de mouvement, de variété, de grâce et d’émotion. M. Huguenet prend un peu trop au sérieux sa qualité d’académicien : il est grave, impitoyablement grave. Les autres rôles sont très convenablement tenus.


Ce n’est pas pour la représentation que M. Henri de Régnier avait écrit les Scrupules de Sganarelle. Il les avait écrits, comme font les poètes, même quand ils écrivent en prose, parce que la fantaisie lui en avait pris et que c’était son caprice, ce jour-là, de rendre les couleurs de la vie à quelques-uns des personnages de notre vieux théâtre. Un secret instinct pourtant l’avertissait que la pièce eût pu, au besoin, à subir le feu de la rampe et même y prendre un certain relief. » Elle venait du théâtre : comment n’y fût-elle pas retournée ? Les types, les sentiments, le langage, tout y porte la marque de son origine, tout y est né de la scène et fait pour elle. Dans ces conditions, il était fatal qu’elle fût représentée un jour ou l’autre. Elle vient de l’être sur le théâtre de l’Œuvre, et avec un plein succès.

C’est à un jeu de lettré, cher aux plus raffinés de nos écrivains, que s’est amusé M. Henri de Régnier en reprenant le type de Don Juan, pour le mêler à de nouvelles aventures. Les œuvres de notre théâtre classique sont si directement empruntées à la vérité humaine qu’elles nous ouvrent sur la vie toute sorte de perspectives. Leur action se continue et se prolonge bien au delà des limites où l’auteur s’est arrêté, parce qu’il fallait finir. Leurs personnages sont devenus les compagnons de notre imagination : nous nous plaisons à les placer dans d’autres circonstances, à les suivre dans un autre milieu, et à les y regarder vivre.

Donc, après le meurtre du Commandeur et fuyant un juste châtiment, le seigneur Don Juan arrive dans un coin de province française. Une place de petite ville, peinte en quelques traits charmants, à la