Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe et à peine a-t-elle commencé à lire, sa voix s’étrangle et son visage se décompose. Car ces feuillets sont ceux-là même sur lesquels les dactylographes ont travaillé de leur métier, et ce qu’elle lit sur ces feuillets dénonciateurs, c’est toute sa conversation avec Sergyl. Elle est démasquée. Barnac va la chasser.

Il la chasse. Pour se donner du courage, il a fait venir les deux bons confrères qui ont joué dans toute cette affaire le joli rôle que vous savez. Ainsi étayé, il est inébranlable. C’est vainement que Marthe implore, supplie, sanglote. Aussi bien, ne cherche-t-elle ni à se défendre, ni à se disculper. Elle confesse la fatalité de sa nature. « Je suis, dit-elle, ce monstre : une femme qui a des sens. » Mais d’ailleurs qu’est-ce que cela fait ? Elle a des sens : qu’est-ce que cela fait aux sentiments ? Cela empêche-t-il qu’elle aime Barnac et n’aime que lui ? Car elle l’aime vraiment, de tout son cœur et de tout le meilleur de son être, et lui seul existe pour elle. Elle se dévouerait pour lui, pour lui elle se jetterait au feu. Quelle sottise de prétendre qu’elle lui est infidèle ! Des épisodes auxquels n’ont part ni son cœur, ni sa tête, et qui se passent dans les obscures régions de l’instinct, ne comptent pas... Et on la devine sincère dans l’expression de son amour, autant que dans l’aveu de sa sensualité. Certains de mes confrères se sont portés garants que le cas n’est pas rare, que rien n’est plus ordinaire. Je les crois sur parole, et quand même je sais gré à Barnac de ne pas s’enlizer dans cette boue.

Seulement il souffre. Le troisième acte nous le montre tel qu’il est depuis le départ de Marthe : vieilli, désemparé, malade. Il ne travaille plus ; il a changé son mobilier et s’est fait un cadre de laideur, genre faubourg Saint-Antoine ; il porte des vêtements d’intérieur sans élégance ; on le bourre de camomille. Cela dure depuis deux ans et cela ne peut plus durer. Il aspire à retrouver Marthe. Il la fait venir. Il lui avoue qu’il ne peut pas se passer d’elle. Vous entendez bien que ces mots n’ont pas dans sa bouche le sens qu’on leur prête d’habitude. Ce à quoi il ne peut renoncer, c’est à la présence de la jeune femme, à l’intimité de ses propos, à son joli gazouillement. C’est fini de l’amour : l’heure est venue de la tendresse. Que Marthe garde donc son Sergyl, Barnac fermera les yeux. Que dis-je ? Il ne veut pas ignorer les amours de Marthe, il les protégera. Il tire d’un mauvais pas le Sergyl, qui est décidément un bas personnage ; il l’autorise à mettre au cinéma les meilleures pièces qui ont rendu célèbre le nom de Barnac. Et que le monde jase autant qu’il voudra, que les rigoristes parlent de ménage à trois, la vie redeviendra possible