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dit sa souffrance, est improvisée pour les besoins du moment ; mais cette allusion, transparente pour le public, ne trouble en rien la sérénité de Marthe, qui écoute et approuve avec le calme d’une bonne conscience.

Au second acte, le plan de Barnac s’exécute de point en point. Marthe est à son poste et nous devinons que les dactylos y sont pareillement. A deux heures, exactement, arrive le premier J. Apprenant que Barnac est absent et que Marthe est seule, il s’empresse de profiter de l’aubaine. Marthe le remet dédaigneusement à sa place et le congédie sans rancune : ce Jarry est un pauvre diable sans conséquence et sa petite inconvenance ne compte pas. Avec Jolligny la scène est plus vive. Ce descendant des preux n’admet pas qu’une fille de théâtre résiste à un si noble seigneur. Marthe relève sa goujaterie en termes excellents... Ainsi, les deux fois, l’épreuve a tourné à son avantage. La dactylographie n’a encore saisi que des propos tout à son honneur. Serait-ce une vertu ? Attendons.

Survient un collégien qui ambitionne d’avoir la signature de Barnac sur un album d’autographes. Ce petit élève de philosophie est un type d’éphèbe vicieux. Marthe ne s’y trompe pas ; tout de suite ils se comprennent ; et nous voilà renseignés. Le potache n’est qu’un passant, une occasion cueillie au vol, un extra. Au tour du client sérieux. L’amant de Marthe est vulgaire à souhait et nous ne pouvons nous faire aucune illusion sur le genre de satisfactions qu’une femme en reçoit. C’est un gaillard robuste et râblé, qui répond au nom de Sergyl et exerce la profession d’acteur de cinéma... Maintenant les dactylographes ne perdent plus leur temps.

Un coup de téléphone. C’est Barnac qui annonce son retour, plus tôt que Marthe ne l’attendait. Le retour imprévu ! Encore un moyen classique. Encore le répertoire. Mais pourquoi téléphoner, au lieu de surgir à l’improviste ? Ah ! c’est que Barnac a bâti dans sa tête toute une scène, la grande scène du deux, dont il a arrêté le rythme et le dessin, et qu’en la jouant tout à l’heure au naturel, l’amoureux souffrira, mais l’auteur dramatique éprouvera une sorte de satisfaction d’artiste. Ce Irait pourrait bien être ce qu’il y a de meilleur dans la composition du personnage : l’écrivain de théâtre qu’est Barnac transporte dans sa vie les procédés de son théâtre : son métier lui est entré dans les moelles.

Donc le voici de retour. Il dit qu’il a pu travailler dans le train, qu’il a écrit toute une scène et qu’elle est très bien venue ; il demande à Marthe de la lui lire tout haut. Marthe prend les feuillets qu’il lui