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peau de chagrin, l’horizon de nos vieilles classes dirigeantes se rétrécit chaque jour, alors que, dans des couches que vous ignorez, que j’ignorais naguère, et que ces deux dernières années m’ont révélées, s’élaborent des énergies laborieuses, fécondes et efficaces qui vont balayer tout cela et reprendre par des voies nouvelles la mission de notre race, — d’avant-garde.

Du moins, est-ce avec une joie intime qu’ici, comme à Bucarest, comme à Constantinople, je constate que tous ceux qui lisent et qui pensent connaissent et comprennent mon cher Vogué. Nos énergumènes de droite et de gauche les étonnent ; ils ne comprennent pas l’opinion de chez nous d’y chercher des guides. Dans les livres de Vogüé, et surtout dans son Exposition du Centenaire, ils ont si bien su voir la grande orientation, encore imprécise et hésitante, soit ! — comme tout ce qui est l’avenir, parbleu ! — mais si discernable pourtant et si consolante pour tous ceux qui ne voient le salut que dans l’effort commun, dans le pacte entre hier et demain, dans le mariage des deux Frances, dans le « concert de Notre-Dame et de la Tour Eiffel » et sont aussi rebelles aux inquisitions noires que rouges, aux révocations qu’aux contre-révocations d’Édits de Nantes.

Et aussi, comme on voit en causant avec tous ces étrangers, que cette condamnation des Lesseps a été un crime national ! — « l’ostracisme sans sa grandeur, » me disait hier quelqu’un en face de l’Agora, — et le fait est que la Cour d’Assises de Paris n’a pas du Pnyx les larges horizons, — mais je ne recommence- rai pas sur ce sujet mes tirades de l’hiver passé, — tu les connais, — à quoi bon, d’ailleurs ?


Nauplie, le 9 juin — soir.

C’est resté une ville d’Orient, du Levant. Je reviens du quai où est amarrée la flottille des barques grecques, et ce large quai court au pied d’un éboulis de vieilles fortifications, de maisons turques aux étages surplombants, de palmiers et d’eucalyptus. J’avais dîné dans un restaurant, sur la place ; mon drogman n’avait pu, malgré ma défense, se tenir de bavarder, car, pendant le diner, le major Schinas, de l’armée hellénique, m’a fait tenir sa carte en demandant à faire ma connaissance, et nous venons de passer la soirée à nous promener le long de la mer, sur le quai en fête où des gamins donnent gratuitement