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tunnels ténébreux qui marquent, pour nos faibles lumières, les limites de son trajet, on ne peut exiger de tous les voyageurs qu’ils passent tout leur temps au wagon-restaurant. Il faut pardonner à ceux qui veulent aussi, pendant le voyage, jeter un coup d’œil curieux sur le bizarre et bref paysage. Et puis, enfin, qu’est-ce qui prouve que l’étude des variations lumineuses des étoiles ne fournira pas un jour à tous les pauvres le moyen de manger à leur faim ? L’industrie électrique, pour ne citer qu’elle, est sortie tout entière d’amusements de physiciens aussi abstraits que ceux-là en apparence. D’ailleurs, le jour où tout le monde sera riche, opulent, gavé et crèvera de pléthore, croit-on que l’humanité aura rempli son destin, supposé qu’elle en ait un ? Si nous souhaitons comme Henri Poincaré l’avènement de cet âge d’or où l’or ne nous tyrannisera plus et où tous les hommes seront matériellement satisfaits, c’est seulement, ou plutôt c’est surtout parce que ce jour-là un plus grand nombre d’entre eux pourront se livrer librement aux recherches désintéressées de la Science, et dénouer quelques-uns des voiles décevants qui nous cachent la nature des choses. On se lasse de tout, excepté de comprendre.

Mais voilà que de l’autre côté de la barricade, une voix nous crie : « A quoi bon tout cela ? Quand vous aurez disséqué mille fois toutes les lumières de toutes les étoiles du ciel, de votre ciel grandiose mais pourtant matériel, croyez-vous que vous en serez plus avancé, croyez-vous que vous en saurez davantage ? L’essence, le fond des choses, leur fin et leur commencement continueront à vous échapper, parce que le contenu ne peut être plus grand que le contenant, parce que le petit cerveau humain ne peut prétendre enfermer le tout dont il n’est qu’une aveugle parcelle. »

Tout cela est vrai aussi, convenons-en. Mais si la science n’avait pour résultat que de nous mettre en contact chaque jour davantage avec l’inconnu, mais si elle n’était dans la forêt du mystère qu’une clairière qui, à mesure qu’on l’agrandit, et par cela même, nous met en contact sur un plus grand nombre de points à la fois avec les ténèbres de l’inconnu, elle n’en serait pas moins utile au cœur de l’homme.

Elle contribuerait à le rendre plus modeste, plus agnostique, moins affirmatif, dogmatique et sectaire, car ceux qui pratiquent la science avec intelligence ne peuvent pas être tout cela. Elle contribuerait à développer en nous ces qualités d’indulgence, de philosophie, de modération qui sont si nécessaires surtout à ceux qui conduisent les