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de la justice par la fraternité et la charité. Le but est haut et il est loin ; il est de ceux que l’humanité n’atteindra jamais, mais il suffit qu’elle s’y achemine.

Le Times, qui mène une belle et clairvoyante campagne pour l’ordre européen et la conciliation des intérêts français et anglais, écrivait, dans son émouvant article du 18 août, ces paroles, chargées de sens et de vérité : « Les véritables résultats de la guerre dépendent absolument de la cordialité et de l’intimité de nos relations avec la France. Une entente officielle n’est pas suffisante ; il faut une amitié nationale, pénétrant hommes et femmes de toutes classes et de toutes conditions dans les deux pays. » Le travail d’opinion précède et prépare l’œuvre des gouvernements. La France ne doute pas des sentiments du peuple anglais, pas plus qu’il ne doit douter des siens, mais elle ne sent pas, chez lui, la compréhension constante et clairvoyante de ses aspirations et de ses besoins nationaux ; peut-être le peuple anglais éprouve-t-il à notre égard la même impression. Il faut rapidement creuser le tunnel, et lui donner toute sa valeur matérielle et symbolique. Ainsi l’Angleterre s’habituera à ne plus se considérer comme isolée et prendra conscience des solidarités nécessaires. Ne demandons pas à la diplomatie ce qu’elle ne peut donner ; à vouloir trop vite une alliance complète et valable pour tous les cas, on se heurterait à des réalités et on risquerait de recevoir le démenti des faits. Un travail continu d’opinion est nécessaire des deux côtés de la Manche. Entre Français et Anglais l’alliance des cœurs s’est faite sous le feu de l’ennemi et elle est indissoluble, mais l’alliance des esprits n’est que préparée, et elle est la première et indispensable condition de l’alliance des Gouvernements et de l’accord des politiques.


RENÉ PINON.