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propre intérêt et dans celui de tous les autres peuples, que les deux conceptions se surveillent l’une l’autre et se contiennent dans de justes bornes.

L’amitié de deux grands peuples et l’accord de deux politiques, qui ont nécessairement parfois des intérêts opposés, exige des concessions fréquentes et importantes ; encore faut-il qu’elles soient réciproques. Que les Anglais nous disent où et en quoi notre politique peut les offusquer ou leur nuire, à charge de réciprocité. Peut-être sommes-nous plus sensibles, plus nerveux, plus méridionaux si l’on veut ; nous n’en avons que plus de mérite, lorsque les Anglais nous font tort, à ne pas laisser notre presse parler indiscrètement d’Egypte ou d’Irlande. Si nous avons besoin de l’Angleterre, elle a besoin de nous. Le public français aimerait voir l’Angleterre sacrifier quelque intérêt à l’amitié de la France ; elle en vaut la peine. Elle est froissée dans son sentiment de la justice, quand elle voit prendre, ici ou là, la place qui revient à la France ou qu’elle possédait avant la guerre par des hommes qui, hier encore, se battaient et mouraient pour la même cause, sur son sol, avec ses propres enfants.

La grandeur du but doit stimuler les courages à vaincre tous les obstacles ; car ce n’est pas seulement l’ordre européen et la paix générale qui sont en jeu dans l’avenir de l’entente amicale franco-britannique, mais le développement futur de la civilisation et les formes qu’elle prendra. Le bolchévisme n’est qu’une fièvre de guerre, une fièvre slave et asiatique, dont la malignité ira s’atténuant ; mais il restera la nécessité, révélée par la guerre, d’une organisation internationale du travail, de la production et de la consommation, des finances et de la monnaie, de même qu’il reste à organiser l’ordre européen et les relations internationales. Il ne faudra pas moins, pour y réussir, que l’accord de toute l’intelligence occidentale et la collaboration américaine ; le fondement politique indispensable est l’entente de la France et de la Belgique avec l’Angleterre ; le rendement philosophique est la conviction que la fin suprême de la civilisation n’e.st pas de créer des richesses matérielles et que son progrès ne se mesure pas au nombre des tonnes de houille extraites ou des tonnes d’acier fondues, mais qu’elle consiste à élever, chez un nombre toujours plus grand de peuples et d’individus, le niveau moral et social et à développer le sentiment