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Jeudi, 8 juin.

Je ne suis pas parti. J’ai demandé à mon guide vingt-quatre heures de grâce, ne me résignant pas à quitter Athènes. Déjeuné chez Egerton avec son secrétaire de légation Lister déjà entrevu à Paris, et Bakhmetief. On a causé art, sorti de jolies aquarelles et de beaux bibelots sous une vérandah fleurie, face à l’Acropole, aussi loin que possible du snobisme et du Tout-Paris.

J’ai pourtant découvert un compatriote avec qui parler, un de nos secrétaires que les « carrière pur sang » ne m’avaient indiqué qu’en passant. J’ai dîné ce soir chez lui, après quatre heures passées en sa compagnie sur la route d’Eleusis. Nous y avions visité Daphni, la ruine franque et la chapelle funéraire des ducs d’Athènes au XIIIe siècle. Un coin de Provence, d’Ombrie. Une coupole florento-romane, des oliviers, « des pans de murs crénelés ; au fond, la mer et une montagne bleue qui pourrait s’appeler l’Apennin si elle ne s’appelait pas Salamine, — et, si l’on se retourne, on voit Athènes du point même où Chateaubriand l’a chantée.

Je reconnais que mon diplomate s’habille sans grand souci du « dernier cri » et est assez étranger au mouvement mondain, mais il sait sa Grèce sur le bout du doigt, en explique les affaires avec agrément et clarté, et j’ai trouvé chez lui des indigènes intéressants qu’il réunit habituellement. Nous sommes toujours en pleine crise, et tout à l’heure dans les rues on criait la démission des archontes, — pardon, je veux dire des ministres. — Je ne t’en écris pas, car les journaux te renseigneront mieux que moi, — mais, ce soir, ces gens bien informés me mettaient au vif des affaires que me paraît ignorer « le gratin » de nos diplomates. Ceux-ci ne quittent l’hôtel, la Légation, et leurs maisons, que pour aller au tennis, au théâtre des Variétés, et aussi parfois, je le reconnais, pour excursionner. Seulement, ils vont à Eleusis en garden-party, comme on va à Saint-Germain-en-Laye avec le coach et à Égine en yacht, comme on va à Puteaux souper chez Bennett.

Pourquoi trop souvent le Français « chic » se croit-il obligé d’être « nul. » Dès que, sortant de la banalité courante, on a l’imprudence d’effleurer devant lui les grande sujets, les leçons de l’histoire, les vues sur le monde, les problèmes dont la solution s’imposera demain, on est le « raseur. » Comme la