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des événements eux-mêmes ; son influence morale apparaît comme un facteur politique de premier ordre dans un monde où les idées d’arbitrage, de paix et d’association trouvent tant de crédit. Et ainsi se pose, pour la France, sur le terrain de ses intérêts les plus élevés, la question de ses rapports avec le Saint-Siège. M. Millerand, avec son esprit positif, son patriotisme éclairé, et après lui M. Leygues, ont clairement vu que la France, qui a un si grand rôle à jouer dans la reconstruction d’un ordre européen, ne peut être absente du Vatican où tous les autres, amis, rivaux ou ennemis, sont activement présents ; la Chambre l’a compris avec les chefs du gouvernement. Le nouveau Président du Conseil, M. Briand, est un parlementaire trop avisé pour chercher à retarder la réalisation de la volonté nettement exprimée de la Chambre ; il obtiendra sans difficultés la ratification du Sénat.

Ce qui fait la force de la Papauté et assure son influence, c’est précisément ce qui manque à la Société des Nations, c’est la tradition, éprouvée et fortifiée par une longue durée de bienfaits, d’un universel respect. L’idée de Société des nations est sortie du vœu général des peuples après la Grande Guerre, elle répond à un besoin permanent des sociétés humaines, mais dans la forme que lui ont donnée les délibérations de l’hôtel Crillon, elle est une création artificielle, en opposition avec la mentalité de gouvernements et de peuples habitués à l’isolement individualiste, et qui porte la trace trop visible des concessions réciproques des diplomates et des préoccupations particulières de chaque délégation. Telle qu’elle est cependant, elle a, sur d’autres conceptions, l’avantage d’exister en vertu de traités de paix qui sont la charte du droit public européen ; à elle de saisir les occasions d’affirmer son autorité et son indépendance ; elle peut devenir, dans la nouvelle Europe, une utile ouvrière de reconstruction, d’ordre et de justice internationale par l’arbitrage. On verra mieux, à l’usage, tout ce qui lui manque pour rendre tous les services que les traités de paix lui imposent, et le temps permettra à l’opinion publique de comprendre l’efficacité du nouveau rouage que l’évolution naturelle des démocraties contemporaines a introduit dans la vie politique des peuples.

La Société des nations aurait pu, dès sa naissance, faire grande figure si le puissant souffle de la démocratie américaine