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de sécurité que nous apporte l’existence d’une Pologne forte, nous serions amenés à nous assurer ailleurs des garanties supplémentaires. Il existe, à portée de nos armées, des territoires dont l’occupation nous servirait de gage pour la restitution à la Pologne des régions que le traité a reconnues polonaises.

Il y a deux manières de concevoir l’existence d’une Pologne, celle des Allemands et des Bolchévistes, — les anciens complices, qui s’appelaient alors Prussiens et Russes, de 1772, de 1791, de 1793, de 1815, de 1863, — et la nôtre, qui devrait être celle de l’Entente. M. von Simons a, le 26 juillet, défini la sienne devant le Reichstag : « Une partie de l’œuvre des Bolchévistes sera très profitable à l’Allemagne. Quant à la Pologne, elle court au-devant d’un désastre si elle se prête au rôle de barrière entre l’Allemagne et la Russie. Au contraire, son avenir ne sera assuré que si elle consent à être en quelque sorte le pont reliant ces deux pays. » Un « pont » est un lieu de passage que foule tout venant ; ce n’est ni une patrie, ni un État. Les Alliés rejettent la théorie du « pont, » mais ils n’exigent pas que la Pologne soit une barrière ; il leur suffit que, dans la pleine signification politique du mot, elle soit indépendante.

Aussi bien, l’avenir de la Pologne n’est-il qu’un des éléments du problème de l’ordre oriental. Pour l’Europe entière, pour le monde civilisé, le retour de la sécurité et de la paix est lié au rétablissement d’un ordre de choses normal et stable dans l’ancienne Russie. L’appui moral prêté par la France aux petits États nationaux qui se sont formés tout autour de la masse russe était sans doute conforme au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais il était surtout une mesure politique conservatoire destinée à soustraire le plus de populations possible au régime bolchéviste ; il était donc conforme aux intérêts de la grande majorité des Russes. La barrière qu’il a été souvent question de constituer avec une Pologne forte et donnant la main à la Roumanie au Sud et à la Lithuanie au Nord n’était pas destinée à isoler la Russie de l’Europe, mais l’Europe du bolchévisme. La France a de puissantes raisons de désirer la reconstitution de la puissance russe, qui ne sont peut-être pas celles de l’Angleterre. L’idéal de la France a toujours été et est encore une Russie et une Pologne pleinement indépendantes l’une et l’autre, mais alliées et solidaires dans leur commune défense contre la traditionnelle poussée allemande