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termes, la mentalité du peuple allemand a-t-elle changé, durablement changé, et son amendement aura-t-il une durée plus longue que son impuissance ? Voilà toute la question. Le moins qu’on en puisse dire, c’est que l’expérience ne saurait commencer à être concluante qu’après quelques années. Ceux qui, à Spa, ont entendu M. Hugo Stinnes, ceux qui savent avec quelle persévérante mauvaise volonté l’Allemagne cherche à éluder l’application du traité de Versailles, ceux qui connaissent l’influence dont dispose encore le parti pangermaniste, sont portés à penser qu’au moins parmi les dirigeants, rien n’est changé, si ce n’est que la rage de la défaite est venue s’ajouter aux haines et aux appétits de la guerre. Certes nous avons les meilleures raisons d’être les premiers à souhaiter que l’Allemagne et l’esprit allemand se transforment, renoncent à l’espoir d’imposer la loi aux autres Etats, et se résignent, en exécutant le traité, à réparer les maux qu’ils ont infligés à des peuples pacifiques. Alors on pourra vraiment faire la paix avec l’Allemagne ; pour le moment, ne pas faire la paix contre elle serait en réalité faire la paix pour elle.

Est-il besoin de redire encore que la France ne cherche ni à démembrer l’Allemagne, ni à la mettre hors la loi, ni à la « boycotter ? » Mais une longue et douloureuse expérience nous a appris que le problème allemand, sous des formes variables, a toujours été la grande inquiétude de l’Europe et en particulier, depuis Arioviste jusqu’à Guillaume II, celle du peuple gaulois et français. Nous avons eu déjà l’occasion de l’écrire ici : articuler une Allemagne pacifique à une Europe pacifiée, c’est tout le problème du présent et de l’avenir. Les garanties que le traité donne à la France et aux autres Puissances ont une valeur incontestable, mais elles n’excluent pas la nécessité d’une politique européenne capable d’assurer la paix en établissant un équilibre des forces qui, tout en faisant à l’Allemagne sa place, décourage toute velléité de remettre en question les résultats acquis. C’est ce que nous voulons exprimer en disant que la France a besoin d’un « système continental, » de même que l’Angleterre a nécessairement une « politique des ports. »

Reconstruire l’Europe sur la base des principes qui ont triomphé pendant la guerre et inspiré les négociations de paix ne saurait porter ombrage aux intérêts britanniques ; le rétablissement de la prospérité économique allemande n’en sera pas