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d’aménager l’Europe pour une longue paix soit moins fortement ressentie en Angleterre que chez eux. On peut faire du commerce avec une Europe émiettée et « balkanisée ; » les troubles et les rivalités nationales peuvent même offrir des occasions inespérées de fructueuses opérations ; mais on n’y peut pas vivre.

Or, nous sommes condamnés à y vivre et à y monter la garde sur une frontière du Rhin toujours menacée. Nous sommes obligés de dire très nettement aux Anglais : Nous savons mieux que vous, par une longue et cruelle expérience, par quels moyens il convient d’aménager l’Europe pour la rendre habitable ; laissez-nous faire le plan de la maison et aidez-nous loyalement à la construire ; vous avez l’empire des mers et des colonies ; nous ne demandons pas l’hégémonie continentale en Europe, mais nous ne voulons ni être exposés à revoir 1914, ni dépendre d’une « assistance » que vous pouvez nous marchander ou qui, du moins, peut arriver trop tard. Si nous n’avions pas arrêté l’ennemi en 1914, ce ne sont ni vos flottes ni votre armée, qui n’a été prête qu’en 1916, qui nous auraient sauvés de la catastrophe complète et définitive. Ce n’est pas non plus la Société des Nations, dépourvue de moyens d’action, qui suffirait à faire régner l’ordre et la paix en Europe. Votre erreur est de croire, déjà, et sans preuves, qu’il n’y aura plus jamais de péril allemand.

Un écrivain politique de grand talent, M. Charles Sarolea, regrettait dernièrement que les plénipotentiaires de Versailles eussent conclu une paix contre l’Allemagne et non pas une paix avec l’Allemagne. C’est là une vue tout à fait théorique. Quand on vient d’assister pendant quatre ans aux horreurs déchaînées sur le monde par la volonté réfléchie et préméditée du gouvernement et de tout le peuple allemand, quand on a analysé l’étrange maladie mentale qui, comme un vertige, s’est emparée du cerveau germanique et y a introduit l’idée, si dangereuse pour ses voisins, que le peuple allemand est élu par Dieu pour régenter et régénérer tous les autres, le premier devoir, en traitant de la paix, est de mettre hors d’état de nuire celui qui a fait tant de mal. Matériellement et moralement, l’Allemagne, qui a signé mais non exécuté le traité de Versailles, est-elle hors d’état de nuire ? Si elle en avait demain la possibilité, n’en aurait-elle pas aussitôt la volonté ? En d’autres