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ordre européen, aboutit à une politique raisonnée et constructive, à un « système continental. »

Quand le Français applique à la politique son imagination logicienne, les tendances de son esprit s’accordent avec ses intérêts les plus évidents, car il a besoin pour sa sécurité, d’une Europe organisée, articulée, qui forme une unité, qui soit une famille. Il a le sens universel et c’est pourquoi il est un bon Européen, c’est pourquoi il est « humain, » le Français, qui est le plus patriote de tous les peuples, est aussi le plus supranational. Quand il défendait son indépendance et ses frontières, il a toujours eu, dans l’histoire, ce singulier honneur de travailler et de lutter pour tous les peuples. La revendication de l’Alsace et de la Lorraine, arrachées du foyer français, a fait triompher un nouveau droit et abouti à l’émancipation de plusieurs peuples. C’est un Allemand, Karl Vogt, qui disait après 1870. « Une Europe où la France manquerait ne pourrait qu’être fragile ; on ne peut se passer d’elle et, au cas où elle disparaîtrait, d’autres, moins capables de jouer son rôle, devraient la remplacer. » Le privilège de la France, c’est précisément, en pensant à elle, en travaillant pour elle, en légiférant pour elle, de penser, de travailler, de légiférer en même temps pour toutes les nations civilisées.

Mais cette grande mission ne va pas sans un double péril. Si elle se laisse entraîner à conquérir pour organiser, elle ameute l’Europe contre elle, et c’est Leipzig et Waterloo. Si elle oublia son intérêt national pour s’égarer dans les nuages de l’humanitarisme, elle compromet sa sécurité et perd du même coup les moyens de travailler au bien général.

Ce sentiment de la nécessité de construire un système européen, que la nature a mis dans l’esprit des Français et que l’histoire y a développé, devient plus impérieux après les grandes crises comme celle d’où nous sortons, en face de nos plaies saignantes et des brèches par où passa l’invasion. C’est en regardant ses villes détruites, ses campagnes ravagées, ses trésors d’art volés ou anéantis, que le Français sent se renouveler et se raffermir, dans son âme en deuil d’un million et demi de ses fils, la volonté ferme de construire une Europe où de pareilles calamités deviennent impossibles et qui consacre les justes résultats acquis par tant de souffrances. Les Français comprennent très bien que cette nécessité de reconstruire et