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naïf, ne croit pas de mise entre gens dont les fils viennent de mourir côte à côte et de vaincre pour une même noble cause. Le formidable réseau d’affaires, d’entreprises, de colonies que la Grande-Bretagne étend sur le globe, comme si elle « cherchait à devenir l’unique centre régulateur du marché commercial et de l’activité économique universelle, n’alarme pas la France ; mais elle s’émeut, non seulement pour elle-même, mais pour tous les peuples, pour l’avenir de la paix et de la civilisation occidentale, quand elle s’aperçoit que la politique économique de l’Angleterre, la politique des ports, implique et engendre la continuation du désordre et des troubles et empêche l’Europe nouvelle, que les Alliés, pendant la guerre, rêvaient si belle, de prendre figure, de s’organiser et de consacrer irrévocablement les grands progrès si chèrement payés vers la justice internationale et la réalisation du droit des peuples. La France a besoin, avant tout, d’un ordre européen.

L’ordre : l’esprit français, nourri des fortes disciplines du droit romain, de l’Église catholique et du cartésianisme classique, en porte en lui-même l’instinctif besoin ; épris de raison et de logique, il ne supporte de vivre ni dans la contradiction ni dans l’incertitude ; essentiellement constructeur, il travaille à édifier solide et saine la maison européenne où son destin l’oblige à vivre avec d’autres, ses voisins. L’Anglais habite sa maison à lui, son « home, » son île ; « chaque Anglais est une île, » a dit Emerson. Obligé de vivre en société, le Français est sociable Toute son histoire nationale est celle de ses luttes pour la sécurité de ses frontières, pour l’aménagement de la commune demeure où aucun désordre, aucun trouble ne saurait se produire sans qu’il en ressente le contre-coup sur l’une de ses frontières, sans que sa chair en soit meurtrie. Son effort toujours renouvelé, toujours imparfait et inachevé, consiste à organiser le continent européen, pour y rendre, à lui-même et aux autres, l’existence meilleure ou au moins possible. La France, depuis qu’elle est une nation, a toujours pratiqué une politique continentale, dont le premier objet est de garantir sa sécurité et dont elle cherche, — parce qu’elle a l’esprit de généralisation et le goût de l’apostolat, — à étendre ce qu’elle croit être le bienfait à toutes les nations du continent. Sa passion pour l’ordre, qui n’est peut-être qu’une conséquence de son besoin vital d’un