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1893, que la nouvelle Chambre, en outre de ses éléments de droite, allait grouper trois cents voix républicaines en faveur de la paix religieuse. Terrain nouveau, avait dit M. Constans ; majorité nouvelle, précisait M. Develle ; esprit nouveau, insistait enfin M. Spuller en mars 1894, et le mot fut remarqué, — presque trop. Car dès le lendemain, M. Casimir-Périer faisait comprendre à Mgr Ferrata « que M. Spuller aurait bien pu se dispenser de prononcer de telles paroles, et donnait pour raison qu’il était plus opportun d’agir avec un esprit nouveau que d’en parler publiquement devant une Chambre qui n’était pas encore en état d’apprécier une pareille déclaration. »

Il semblait à Mgr Ferrata que cet esprit nouveau s’attestait par le discret ajournement du projet de loi qui dépouillait les fabriques du monopole des pompes funèbres : projet que le ministère Bourgeois lui-même laissa sommeiller, et qui demeura en souffrance, tant que Mgr Ferrata fut nonce. Mais au mois de mai 1894, une bourrasque soudaine, paradoxal résultat d’une démarche pacificatrice de Mgr Ferrata, éteignit l’arc-en-ciel fragile. Sur l’ordre de Rome, le nonce avait informé tous les évêques, par une circulaire confidentielle, que le Saint-Siège se réservait d’intervenir dans les débats épineux auxquels donnait lieu la récente réglementation des fabriques ; que le gouvernement s’était déclaré disposé à tenir compte des observations de l’épiscopat pour les modifications à apporter ; et que les évêques, dès lors, dans leurs réponses au gouvernement, devaient tout à la fois formuler les réserves nécessaires et opportunes et éviter de se mettre en opposition directe avec la loi. Rome, par une telle démarche, aidait le corps épiscopal à s’unifier et à s’apaiser. Mais une indiscrétion publia la circulaire, et l’on eut tôt fait de dénoncer le « diplomate étranger » donnant des instructions à ces évêques que l’on traitait alors de fonctionnaires.

Si grave que fût le péril, Mgr Ferrata savait ce qu’il devait à ses prérogatives de nonce. Regretter la circulaire elle-même, ainsi que l’eut souhaité M. Casimir-Périer, jamais il n’y consentit. Il déclara simplement que le document, conçu dans une pensée d’apaisement et de conciliation, avait été publié contre son gré, qu’il regrettait cette publication, et qu’il aurait soin qu’un pareil incident ne se reproduisit pas. Il fallut cette formule, pour éviter que l’homme d’Eglise qui avait voulu semer la paix ne récoltât la guerre.