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LES MÉMOIRES D’UN NONCE
LE CARDINAL FERRATA

On a souvent demandé, dans les joutes récentes du Parlement et de la presse, à quoi sert un nonce. D’aucuns, d’une voix très haute, ont exprimé leurs alarmes au sujet de cette « personnalité étrangère » qui pouvait, à l’abri même de son intangible dignité de diplomate, diriger dans l’État une mobilisation de l’Eglise. Et d’un tout autre point de l’horizon politique s’élevaient timidement de tout autres murmures : des voix étouffées, qu’assourdissait un sentiment de gène, chuchotaient que le souci même de prudence diplomatique dont s’inspirent les actes d’un nonce peut l’induire, parfois, à réclamer de l’épiscopat indigène certains fléchissements, ou de l’opposition catholique certains désarmements, et qu’au demeurant, théocratie et démocratie ne pouvant avoir rien de commun, cet agent de liaison que serait un nonce est parfaitement inutile.

Trois volumes fraîchement arrivés de Rome doivent désormais abréger ces débats : ce sont les Mémoires du cardinal Ferrata, mort secrétaire d’État du pape Benoît XV [1]. Ils nous conduisent de l’année 1847, date de la naissance du cardinal, jusqu’à l’année 1896, qui marqua le terme de ses nonciatures. Quatorze cents pages durant, nous voyons là ce qu’est un nonce, ce qu’il est dans le monde actuel, sur terrain parlementaire, en pays démocratique. Les archives des chancelleries ensevelissent d’ordinaire avec une invincible jalousie les deux ou trois quarts de siècle immédiatement écoulés : lorsqu’on voit l’actuel gouvernement

  1. Rome, Cuggiani et Desclée.