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il ne vint pas, non plus le dimanche où elle l’invitait que le samedi qu’elle lui écrivait. Sans doute afficha-t-il une excuse qui dissimulait peu sa dignité offensée. Elle lui écrivit derechef le dimanche soir : « Gage, gage que vous êtes en colère contre moi, pour la deux cent millième fois. Si vous n’eussiez point eu quelque rancune, vous me seriez venu voir hier. Croyez-moi, ne vous amusez point à vous fâcher. Je vous assure que c’est à tort et sans cause ; vous devez vous en fier à moi. » Ménage affirma qu’il n’était pas en colère. La polémique est de jour en jour, d’heure en heure. Le lundi, nouveau billet de Mme de La Fayette : « Quoi que vous en disiez, je vous tiens en colère ; mais j’espère que vous n’y serez que jusques à la première vue... » Malheureusement, ni ce lundi ni le mardi elle n’est libre ; elle doit, le mardi, solliciter, discuter avec des gens d’affaires : « et je crois que la tête me tournera de tout cela. Je donne le bonsoir à votre colère. » Autre billet : « Je ne compte pas sur la colère où vous étiez hier ; car je ne doute point qu’après avoir dormi dessus elle ne soit diminuée. Et, pour vous montrer que je ne vous crois point du tout fâché contre moi, c’est que je vois prie de m’envoyer un Virgile de M. de Villeloin et de me venir voir vendredi. » Or, le Virgile de M. de Villeloin, ce n’est rien qui vaille. Si Ménage n’avait pas été en colère, il l’eût dit à Mme de La Fayette.

Personne au monde n’estimait les traductions de ce pauvre homme et de ce scribendi cacoethes, comme l’appelle Chapelain. D’ailleurs, Chapelain détestait en lui « le chef de la conspiration contre la Pucelle » et, sa traduction de Stace, il la considérait comme « un de ces maux dont notre langue est affligée, » Ménage avait d’anciennes relations avec Michel de Marolles, abbé de Villeloin. A vingt ans, avocat sans gloire à Angers, il rencontra dans la boutique d’un libraire le traducteur alors seulement de Lucain et lui montra un exemplaire de ce Lucain pour lui marquer gentiment qu’il savait qui était M. Michel de Marolles. Il revit ce Michel de Marolles plus tard, dans la maison de Paul de Gondi. Et le coadjuteur disait qu’on ne saurait traduire joliment Virgile. Marolles releva le défi : en quelques mois, il vous eut troussé un Virgile français qui parut en 1649 et qu’il appelle « la plus juste, la plus belle et la plus élégante » de ses traductions. C’est possible : mais toutes ses traductions sont mauvaises. Le bonhomme est charmant, devenu vieux et, par